Mort d’un libraire (Saïd MEKBEL)
(Mesmar J’Ha)
Quand vous entriez dans sa librairie, il vous donnait l’impression de ne pas l’avoir remarqué. Il restait à sa tâche. Mais pendant que vous passiez devant les rayons à la recherche d’un livre, lui, vous suivait, guettait ce moment ou ce geste qui montrait que vous aviez besoin de lui. Alors seulement il venait, vous saluait, et engageait la conversation. Son prénom véritable était Joachim mais tout le monde l’appelait Vincent, cet homme qui tenait la librairie des Beaux-Arts »
Ceux qui l’ont assassiné hier après-midi, ont sans doute assassiné le dernier des libraires du pays, le dernier des marchands de livres qui savaient vraiment la richesse de ce que contenaient leurs rayons. Vincent assassiné!
Si cet homme avait pris son baluchon et quitté ce pays qui était le sien pour aller vivre dans l’Espagne de ses ancêtres il serait sûrement encore, encore en vie.
Eh non. Vincent ne l’a pas fait, il est resté ici, malgré l’insécurité, l’incertitude, les menaces, les risques. Malgré les amis qui l’exhortaient à partir. C’était des amis algériens qui croyaient que la vie n’était plus possible en Algérie. Vincent lui, y croyait.
Honte à nous!
Saïd MEKBEL
(Le Matin, 22 février1994)
1 mars 2012
Said Mekbel