La pluie
Le travail d’intertextualité interne fondamentalement constitutif de La Macération est exploité dans un autre roman, La Pluie, dont la lecture donne l’ irrésistible envie de croire qu’il s’ agit d’une nouvelle version, au féminin, de L’ Escargot entêté. La narratrice s’ affiche comme l’ héritière du fonctionnaire de la dératisation.
De ce père putatif elle garde la manie de l’ écriture – « J’arrête de griffonner sur le papier. La page est comme échardée, grelée par les signes de ma minuscule écriture. « Mots courts. Brefs. Concis. Neutres. Saccharinés. Futiles ». Insomniaque, elle remplit ses nuits en déroulant le ruban de la mémoire fixée sur les traumatismes successifs qui balisent son destin et qui sont autant de motifs qui aiguisent la tentation du suicide: « Une nouvelle fois je suis prise par mes frayeurs. Un sentiment d’étrangeté et de fluidité s’ empare de moi. La sueur imprègne mon corps… Aucune possibilité de fuite sinon dans le repli sur moi-même et l’ enroulement sur mon propre être ».
Chaque page du journal intime est une douloureuse plongée dans les affres de la vie quotidienne – famille et société confondues. « Vision d’enfer ». « Cauchemar sur cauchemar ». La peur et l’ angoisse constantes immobilisent le temps qui se fige dans une atmosphère de macération fétide. L’ épaisseur psychologique, élaborant la densité du roman se veut comme la contre-partie d’une écriture constamment sapée, confectionnant des phrases nodulaires, effilochées, mais toujours tâtonnant à la recherche du mot juste. L’ écriture sécrète un style sec et abrupt à l’ inverse de la pluie qui ramollit l’ espace:
Je regarde la pluie se déverser sans interruption. Le goût de la terre gorgée d’eau me monte à la bouche. J’ai horreur du beau temps sec. Je regarde les grosses gouttes pluvieuses qui glissent sur les vitres des fenêtres. C’est la saison des pluies… Les gouttes d’eau s’ étirent, se tordent et dérapent… Il ne cesse pas de pleuvoir.
La pluie accompagnant chaque récit nocturne est bien la métaphore de ce désir d’effacer la mémoire douloureuse comme le dit l’ exergue, au fronton du texte, empruntée à Saint-John Perse: « Lavez, lavez l’ histoire des peuples aux hautes tables: les grandes annales officielles, les grandes chroniques du clergé… Lavez, lavez 0 Pluies! les hautes tables de mémoire ».
Et pourtant la mémoire reste vivante et se veut même critique dans La Prise de Gibraltar qui peut être lu en intertextualité avec Les 1001 années de la nostalgie.
2 mars 2012
Rachid Boudjedra