Ceci, pour parler d’un problème intestinal. Reste l’autre souci : les islamistes, ici ou chez nos voisins. Question de fond et d’urgence: l’islamisme peut-il être modéré ? Réponse du chroniqueur: non avec « jamais » en bas de page. Cela va à l’encontre de la doctrine messianique de cette idéologie : le but est le califat définitif et restaurateur, pas un seul mandat ou deux. L’argument est « la Vérité », pas le programme. Le Tunisien Ghannouchi a eu, un jour, ce terrible slogan à la bouche: « Le Fis a commis l’erreur de s’en prendre aux minorités agissantes ». Du coup, la nouvelle stratégie : épargner les « ennemis » et faire briller la vitrine internationale. Dès que le pouvoir est dans la poche, on contre-attaque : d’abord, comme a dit un cheikh tunisien, il faut contrôler l’Education pour « récupérer les enfants des ennemis qui sont irrécupérables ». Ensuite, créer de l’emploi pour les sympathisants de ce courant : officiers de mariage religieux, Justice, Culture, etc. Ensuite, dès que c’est solide, on commence : on promet de fermer les débits d’alcool, on laisse les milices salafistes installer la peur et la menace en expliquant « qu’ils sont aussi les enfants de ce pays comme a dit Ghannouchi. Puis doucement, pendant que tout le monde a le front au sol ou est en train de se laver les orteils, on précise que l’Islam est religion d’Etat et que la Charia est la référence des lois. De quoi paralyser les adversaires qui sont donc impies et pas citoyens adversaires.
C’est d’ailleurs la stratégie des islamistes au pouvoir : attirer le débat vers le terrain de l’absolu et hors du terrain du politique : l’opposant se retrouve à répondre de sa foi et de ses croyances face à un inquisiteur. Du coup, l’opposant laïc ou progressiste ou anti-islamiste perd. Qui va dire qu’il est contre « la Charia comme référence » ? Personne : le concept est flou. Le flou est l’art des dictatures lentes.
Et du coup, au Maroc, comme en Tunisie, les islamistes retombent vers leurs vieux vices : la femme, le nu, l’art, le corps, le laïc. On ne parle pas d’indice de développement, d’économie, de relance, mais de « mœurs, d’authenticité, de langue nationale, de vérité, de propreté ». Au Maroc, les islamistes viennent de lancer une campagne de censure contre les revues étrangères et un concept « D’art propre ». En Tunisie, le rêve du sixième Khalifa est au bout de chaque phrase. En Egypte, n’en parlons même pas !
C’est dire qu’il n’y pas d’islamiste modéré. Un islamiste est modéré avant de prendre le pouvoir, jamais après. Un islamiste ne vise pas un mandat mais l’éternité. Il ne veut pas votre voix mais votre conversion. Il ne veut pas construire le pays mais restaurer les premiers temps ». Il ne peut pas concevoir la liberté sauf celle de vous imposer sa croyance. Et avec le printemps arabe, on découvre que cette secte, en plus de l’intolérance, vient de découvrir la stratégie de la ruse.
Non, il n’y pas d’islamiste modéré, il n’y a que des islamistes encore plus rusés. Après l’illusion tragique de « la stabilité par la dictature », il nous faut encore lutter contre celle de « l’utopie par les ablutions collectives ». La première a été facturée par 100 ans de sous-développements et de crimes. La seconde ?
5 mars 2012
Kamel Daoud