Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
«Les promesses n’engagent que ceux qui y croient», disait l’ex-ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Il en est ainsi de ceux qui ont pris pour argent comptant les propos de Rached Ghanouchi quand il déclarait avec une belle assurance qu’il se contenterait de la formulation «l’Islam est la religion et l’arabe la langue officielle du pays». Celui qui a été accueilli en novembre dernier comme un chef d’Etat en Algérie, pronostiquant une victoire de ses frères islamistes algériens sans que nos gouvernants ne le remettent au moins gentiment à sa place, tombe le masque.
Ceux, à vrai dire peu nombreux initialement parmi les démocrates tunisiens, qui redoutaient au lendemain de la victoire d’Ennahda que ce dernier ne soit tenté de pousser son avantage, avaient vu juste ; et la question de la place de l’Islam dans le projet de Constitution préoccupe de nombreux Tunisiens, notamment les femmes qui craignent une remise en cause des acquis hérités de l’ère Habib Bourguiba. Qu’on en juge. «La religion ne relève pas du domaine privé, mais d’un ordre public et d’un mode de vie ; celui qui cherche à isoler la politique de l’islam attente à la structure de la pensée islamique », assurait le 28 février Sahbi Atig le chef du groupe parlementaire d’Ennahda. «Nous voulons appliquer progressivement la Charia. Cette dernière doit se faire selon trois références fondamentales, qui sont le Coran, la Sunna et l’unanimité des savants de la Umma islamique et doit émaner d’une demande du peuple», a renchéri de son côté le député et dirigeant du parti, Sadok Chourou. Ajoutant que les peines telles que «couper les mains des voleurs ou flageller les femmes adultères ne peuvent être appliquées si le contexte socio-économique ne s’y prête pas». Ouf ! Et afin qu’il n’y ait aucun doute sur les intentions de son parti, le chef d’Ennahda, Rached Ghanouchi, a assuré que «l’article 1 de la Constitution stipule que la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain : sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République, pourrait mentionner que la Charia est la source principale de la législation tunisienne». Fini donc ce temps – c’était le 4 novembre dernier – où le même Ghanouchi déclarait : «Nous sommes tous d’accord pour conserver l’article 1er de la Constitution, qui déclare que l’Islam est la religion et l’arabe la langue officielle du pays» et qu’«il n’y aura pas d’autres références à la religion dans la Constitution». Pour ne pas être en reste, d’autres partis se sont engouffrés dans la brèche. Ainsi en est-il du groupe de la Pétition populaire (26 députés, troisième force parlementaire) du milliardaire basé à Londres Hachemi Hamdi, un ex-proche de Ben Ali, qui revendique que «l’Islam soit la principale source de la législation» ou le groupe Liberté et dignité (12 députés), qui veut que «le Coran, la Sunna et l’unanimité des fuqaha (jurisconsultes)» soient «les principales sources de législation». Et même le minuscule parti Union patriotique libre, qui ne dispose que d’un siège de député, s’est prononcé pour l’adoption de la Charia dans la Constitution ! En bref, que du beau monde ! Pris de court et dépités, ses deux alliés au sein du pouvoir, le Congrès pour la république (CPR) du président Moncef Marzouki, et Ettakatol du président du Parlement Mustapha Benjaafar refusent une «instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques » et demandent «à séparer le religieux du politique». A gauche, le Parti démocratique progressiste (PDP), ainsi que d’autres formations se revendiquant de la mouvance démocratique républicaine se mobilisent pour empêcher une confiscation de la «révolution du 14 janvier». Reste que des propos tenus il y a quelques mois par des dirigeants d’Ennahda étaient on ne peut plus clairs et auraient dû sonner comme un avertissement. Il en est ainsi du ministre de l’Enseignement supérieur Moncef Ben Salem qui déclarait que «Bourguiba est d’origine juive et tripolitaine», qu’«il haïssait l’islam et l’arabisation» et qu’«il a occidentalisé le pays – notamment en matière des droits de la femme – sur ordre de Mendes-France» ! Bienheureux Bourguiba qui n’est plus de ce monde pour entendre de pareilles sottises.
H. Z.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/03/08/article.php?sid=131308&cid=8
9 mars 2012
Hassane Zerrouky