Culture : Le coup de bill’art du Soir
Monsieur Chance Jardinier est jardinier dans une propriété privée de Washington. Il vit retiré du monde. Tout ce qu’il sait faire, c’est prendre soin des plantes dans cette vaste propriété et regarder la télévision. Cet homme simple, naïf et niais, sera obligé de sortir de sa «bulle» après la mort de son patron. Il se retrouve dans la rue pour la première fois de sa vie.
Un petit accident malencontreux, et il sera accueilli au domicile d’un vieux businessman influent et de sa charmante femme d’au moins 50 ans sa cadette. Le premier, malade, trouve en lui une source d’apaisement, et la seconde, peut-être en manque d’affection, lui trouve progressivement un charme irrésistible. Dans leur immense demeure où il est invité à rester indéfiniment, Chance va fréquenter les plus hautes sphères du pouvoir. Il va même rencontrer le président des États-Unis, dont le vieux businesman est un proche conseiller. L’attitude toujours calme et sereine (béate) de Chance va passer pour une sagesse à toute épreuve acquise suite aux épreuves qu’il aurait traversées. Chance verra ses rares paroles être prises pour autant d’oracles rassurants, de proverbes lumineux et de métaphores éclairées, alors qu’il ne fait que parler de son savoir et son expérience en jardinage. Quand il dit que la plante repoussera au printemps tant que les racines sont saines, il parle de jardinage, bien sûr, mais le président va prendre cette «sagesse» comme thème de campagne pour sa réélection. Le discours du président sera plein de phrases «optimistes » conseillées par ce sacré Chance, genre : «après l’hiver, viendra le printemps» ou encore «après le dégel, les fleurs repousseront avec l’arrivée du printemps». Un journaliste lui demande ce qu’il pense d’une grande personnalité politique. Sa réponse (sincère) est : «Qui est-il ?» Mais tout le monde trouve «drôle et génial» cette réponse «intelligente» qui pour eux «ridiculise» ce concurrent politique. Chance Jardinier, cet «homme sans passé», devient «le candidat idéal» pour la Maison-Blanche. Les «services» cherchent dans sa vie la moindre trace d’un «écart» qui pourrait être utilisé comme un moyen de pression contre lui, en vain : Jardinier est blanc comme neige. Sortie en 1980, Bienvenue Mister Chance est un film d’Hal Ashby, avec Peter Sellers, Shirley MacLaine et Melvyn Douglas dans les rôles principaux. Outre cette parodie de la vie politique «à l’américaine», Ashby y dresse le portrait apeurant d’une Amérique définitivement sortie des Trente Glorieuses, en pleine récession économique. L’état du pays est si désespéré que le peuple en vient à se raccrocher aux phrases faussement sibyllines, diffusées par la télévision, d’un personnage rapidement poussé sous les feux de la rampe, dont seules l’inconscience et la naïveté lui permettent d’être tout à fait heureux. Chance Jardinier est, en effet, le seul personnage complètement heureux du film, simplement parce qu’il ne sait rien de la vie et ignore tout de la situation dans laquelle se trouve le pays (le plaisir de l’ignorance ?). Les Etats-Unis se retrouvent dans la même situation aujourd’hui. Mais les médias ont trouvé d’autres «printemps», d’autres héros, d’autres mirages et d’autres ennemis à travers le monde, afin de détourner l’attention du citoyen américain.
K. B.
bakoukader@yahoo.fr
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/03/12/article.php?sid=131454&cid=16
12 mars 2012
Kader Bakou