Chronique du jour : A FONDS PERDUS
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Dans un nouveau rapport paru le 22 février dernier, la Confédération syndicale internationale (CSI) émet de «vives critiques» à l’égard du gouvernement turc, auquel elle reproche de manquer de protéger les travailleurs et travailleuses contre l’exploitation et l’intimidation par des employeurs du secteur privé et les pouvoirs publics. Les quatre organisations syndicales turques affiliées à la CSI (TÜRK-IS, HAK-IS, DISK et KESK) totalisent un impressionnant effectif de 780 000 adhérents.
Restrictions d’abord au stade de l’organisation et de l’implantation : «De sévères restrictions au droit d’organiser des syndicats, la manipulation par le gouvernement des registres d’adhésion et le recours constant aux menaces et à l’intimidation pour empêcher les travailleurs de former des syndicats et d’y adhérer font qu’à peine 5,4% des effectifs sont couverts par des conventions collectives.» La loi reconnaît la liberté d’association et le droit de s’affilier à un syndicat ; néanmoins, de sévères contraintes sont mises à l’exercice de ces droits. A titre d’exemple, seules les personnes ayant la nationalité turque sont autorisées à former un syndicat ou à être élues. Par ailleurs, plusieurs catégories d’employés du secteur public se voient refuser le droit de s’organiser : les avocats, les fonctionnaires civils du ministère de la Défense nationale et des forces armées turques, les employés des établissements pénitentiaires, les personnels de sécurité, etc. En outre, la définition de l’emploi ne couvre pas les travailleurs indépendants, les travailleurs à domicile et les apprentis. Des lois spéciales régissent les travailleurs dans l’agriculture, les forêts, l’aviation civile et d’autres secteurs. Restriction aussi au stade de la négociation collective. Celle-ci est reconnue, mais de nombreux interdits l’enfreignent dans la pratique. Ainsi, pour être admis à la négociation, un syndicat doit représenter au moins 50% plus un des travailleurs à l’intérieur d’une usine, et 10% des travailleurs au sein du secteur concerné dans le pays. Un seul syndicat par entreprise, la plus grande, est autorisé à mener des négociations collectives. Restrictions dans l’action, avec des persécutions et une grande répression antisyndicales : les syndicats ne sont pas suffisamment protégés contre les actes d’ingérence dans leurs activités. Ils doivent obtenir une autorisation préalable pour tenir des réunions ou des rassemblements et permettre à la police d’y assister et d’enregistrer les séances. La répression n’est pas en reste : «Le harcèlement judiciaire des avocats syndicaux, pratique de longue date, se pérennise». Conséquence : «Outre une législation du travail faible et inadéquatement appliquée, les travailleurs se trouvent à la merci d’une justice fortement partiale en faveur des employeurs, qui les laisse dépourvus de toute protection contre la discrimination et pratiquement sans possibilité de négocier collectivement pour des salaires et des conditions décents.» De nombreux syndicalistes demeurent incarcérés, alors que les manifestations syndicales pacifiques donnent fréquemment lieu à des interventions violentes des autorités. Le droit de grève est reconnu mais reste étroitement encadré : une trop longue période d’attente de près de trois mois doit précéder chaque grève. Des peines sévères, y compris d’emprisonnement, peuvent être infligées en cas de participation à des grèves non autorisées même lorsqu’elles sont pacifiques. Le rapport de la CSI, soumis à l’Organisation mondiale du commerce dans le cadre de son examen de la politique commerciale de la Turquie, relève en outre que les femmes en Turquie (qui sont concentrées dans les industries à main-d’œuvre intensive, l’agriculture et les activités informelles) ne bénéficient pratiquement pas de sécurité, de revenus et de protection sociale. Seule une femme turque sur quatre est employée et 10% seulement d’entre elles accèdent à des postes de direction. L’écart de rémunération entre les genres est de 43%. En termes de parité de pouvoir d’achat, une femme touche en moyenne un quart des gains annuels d’un homme. Ce chiffre s’explique par la concentration des femmes dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre, l’agriculture saisonnière (de courte durée) et le secteur informel. Le travail des enfants se pose également avec acuité. Même si 41% des enfants qui travaillent le sont dans l’agriculture, l’emploi dans ce secteur n’est pas régi par le code du travail mais par un «code d’obligations» qui n’offre pas une protection adéquate. Dans les villes, beaucoup d’enfants travaillent dans la rue. Nombreux sont les enfants des rues – généralement des victimes d’une traite des êtres humains — qui sont forcés à la mendicité, au commerce de stupéfiants, à la petite délinquance et à d’autres pratiques figurant parmi les pires formes de travail des enfants. De fait, la loi interdit l’emploi des enfants de moins de 15 ans, mais ils sont autorisés à effectuer des travaux légers à condition qu’ils soient scolarisés (l’école est obligatoire jusqu’à 14 ans). Les enfants âgés entre 14 et 15 ans sont «vulnérables aux pires formes de travail». L’agriculture accueille 41% de tous les enfants qui travaillent. Ils sont employés dans des fermes de coton, de tabac et de noisettes, où ils effectuent «des tâches dangereuses impliquant l’utilisation de pesticides». L’artisanat à domicile, la collecte et le tri des ordures, les ateliers de réparation et en général les activités informelles, comme le petit commerce de rue, sont également fortement employeurs d’enfants, mais «les pires formes de travail des enfants» sont signalées dans les briqueteries, le bétail et les industries de la chaussure et du cuir.
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/03/13/article.php?sid=131505&cid=8













13 mars 2012
Ammar Belhimer