C’est donc un peu leur but : c’est comment remplacer l’Algérien par un autre, importé, qui distingue les partis ? Le but est de repeindre l’Algérien, pas le fabriquer ni en accoucher. Ensuite, les partis sont des artifices : ils représentent le régime, pas le peuple. Plus exactement, ils représentent ce que le régime veut qu’on pense du peuple qui n’est pas représenté. Très complexe, cet effet de reflets qui s’appelle «démocratie contrôlée ». Comprendre : j’habille le peuple avec des vêtements qu’il ne choisit pas mais qui font qu’il n’est pas un peuple nu. Dans les milieux ruraux, un ami médecin raconte : souvent, c’est le mari qui me parle à la place de sa femme malade qui est là, dans le cabinet, mais qui n’a pas le droit de dire ce qu’elle ressent. C’est un peu ça le multipartisme algérien sous contrôle.
Il faut donc se poser la bonne question : le multipartisme est-il possible dans des pays pétroliers ? C’est-à-dire quel est le programme d’un parti quand il n’y a que le pétrole qui travaille et qu’une seule manière de le distribuer ? D’ailleurs, c’est quoi un parti qui n’a pas un puits de pétrole ? C’est un sigle qui n’a pas un sens ou une formation qui a un propriétaire. Les partis, presque tous, qui sont entrés dans le jeu des prochaines législatives le savent : ils n’ont pas de programme politique spécifique. Les patrons se tiennent très loin et à distance hygiénique : la kasma n’a jamais été la meilleure amie de l’entreprise. Reste donc des nuances sur comment distribuer à manger. En clair, le schéma est net : il y a un puits, un tuyau qui ramène le pétrole, un propriétaire majeur et un peuple qui en mange. Le multipartisme dans ce cas n’est que le choix des assiettes. C’est une arnaque. En Algérie, le chroniqueur le répète, le multipartisme n’est possible que si chaque parti avait un puits. Là, l’exercice aurait pu avoir un sens, l’assemblée aussi, la Constitution et les lois profondes. Une campagne électorale aurait eu le sens d’une entrée en Bourse et une loi de finances aurait été l’enjeu d’un bilan à présenter à des actionnaires. Ce n’est pas le cas : le pétrole, donc la force, donc l’argent appartient à un Seul. Les autres sont un bruit de cuillères.
Non, il n’y pas de multipartisme quand on est mono exportateur. Quand le plat est unique, le parti est unique et le régime est unique. Il ne faut pas se mentir. Les opposants au régime, chez nous, ont fini par comprendre : le multipartisme et la démocratie, on les fait avec de l’argent, pas avec un peuple. Les seuls à avoir pu vendre une cause en plein désert à des peuples pauvres sont les prophètes.
14 mars 2012
Kamel Daoud