Retour sur un coup d’Etat par l’Etat : la décision de Bouteflika «d’interdire» les têtes de listes aux ministres FLN et à ses barons provoque un orage de la Soummam à la tête molle de ce parti. C’est ennuyeux, mou et sans intérêt, vu du point de vue de l’avenir,mais il faut en parler de la tête du poisson. Belkhadem se trouve donc dans une fâcheuse position d’homme qui a vendu du vent à des alliés et clients. Et tous ces gens-là que vous avez vus à la télé vous parler de «son excellence», des Relances et des Indjazates, fulminent aujourd’hui, se révoltent et menacent d’aller camper chez l’adversaire. Car le FLN, reflet aquatique du régime, n’est pas une histoire d’amour, c’est une hideuse mâchoire qui veut manger et se mange. C’est une machine, pas un élan patriotique. Ses membres les plus connus ne sont pas là pour vous ni pour Bouteflika d’ailleurs, mais pour eux-mêmes, mais à la manière d’une bousculade sans fin autour d’un reste de repas de colon enfui. Certains y sont arrivés sur le dos de leurs régions, d’autres sur le dos de dobermans et ce sont des gens à qui on a promis d’autres mandats à vie plus longs que le mandat à vie de Bouteflika. Du coup, aujourd’hui, c’est la révolte.
Verra-t-on quelques ministres et quelques membres du BP couper une route, faire un sit-in ou s’immoler ? Non. Trop invertébrés pour ça. Trop fourbes pour être des héros et des opposants. Mais on verra des manœuvres, des émeutes et des cris de rage. Avec ou sans chiens contre la kasma. Le spectacle est donc intéressant : on va voir comment la bande va se défendre, défendre ses intérêts et se révolter en cachette contre le «Président d’honneur». On verra comment certains promus grands seigneurs pour cause d’affection matrimoniale avec Belkhadem vont avoir une seconde vie après la mort. Du coup, il ne faut plus s’intéresser aux autres partis, aux rumeurs sur les têtes de listes contre millions de dinars, et les cas cliniques des partis fast-food. Le plus intéressant est aujourd’hui là, sous les yeux : comment le FLN va tenir tête à son Bouteflika et comment Bouteflika va faire devant la menace d’usage de dobermans pour le cerner. C’est un cas médical, une version du putsch contre putsch, un spectacle de révolte dans le palais. D’ailleurs, Belkhadem va-t-il s’en sortir indemne ? Est-il vivant d’ailleurs coincé entre ses affections et son contrat de Moubaya’â ?
Et du coup, on se met à rêvasser : le chroniqueur, comme beaucoup d’Algériens, a vu ces jours-ci en France ces docs sur la «guerre d’Algérie», nom français de «la guerre de Libération» : des Algériens ardents ou écrasés, taguant sur les murs le sigle FLN en dentelle de la Casbah. Le vrai FLN. Celui des ancêtres immédiats et des gens qui ont sacrifié leur vie pour l’air de cette nation. Ce même sigle aujourd’hui inscrit sur des cuillères, des assiettes, des gros bras, des triades et des catapultes. C’est donc une guerre interne qu’il faut suivre avec attention. Certains sont prêts au pire pour ne pas être éjectés des listes de leurs «wilayas féodales». Même à lâcher les chiens !
22 mars 2012
Kamel Daoud