Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
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Epistolier prolixe, le chef de l’Etat ne cesse d’envoyer des messages appelant à l’adhésion au projet de refondation de l’Etat, qu’il souhaite mettre en route à partir de la prochaine législature. Après l’éloge à la femme le 8 mars, ce fut au tour des moudjahidine d’être sanctifiés le 19 du même mois. C’est ainsi que d’une «congrégation» à une autre, il redit son désir d’être aidé dans son grand œuvre qu’il n’a d’ailleurs pas manqué de le comparer à un second «1er Novembre».
Ce qui est en soi un abus de langage courant dans la vulgate du système, c’est-à-dire une solennité creuse dans le propos mais qui sert à donner de la gravité à la moindre opération politique. Sur la brèche afin d’exorciser le péril de l’abstention, il fait cependant en sorte de culpabiliser l’électorat seul au cas où la participation ne serait pas à la hauteur de l’enjeu dont s’impliquera la future chambre. En apparence, l’argument semble raisonnable sauf quand il est examiné attentivement par l’électeur scrupuleux, celui-ci s’aperçoit qu’il est peu convaincant. Et, plus grave même, il le soupçonnerait de n’être qu’un tour de passepasse. Car enfin, se dira-t-il, pourquoi le pouvoir occulte-t-il sciemment l’idée d’un mandat transitoire si réellement il voulait faire de l’Assemblée du 10 mai une véritable Constituante ? Elémentaire constatation, dont veut se passer le régime qui veut éviter, par de subtils subterfuges, l’évocation de la possibilité d’une 2e République. En clair, cela s’appelle «l’esprit du système » auquel même le président actuel ne veut pas renoncer. Il est d’ailleurs une des caractéristiques de cette philosophie du pouvoir qui remonte à l’aube de l’indépendance et consiste à ne jamais remettre en question les fondamentaux de sa pérennité mais d’agir uniquement sur les instruments de son fonctionnement. D’ailleurs, l’histoire de nos institutions l’illustre parfaitement. C’est ainsi que Ben Bella et le fameux «Bureau politique », clandestinement bricolé à Tlemcen, après avoir taillé des croupières à la Constituante élue en septembre 1962, imposèrent par la violence et la pression une définition fondatrice de l’Etat tout à fait à l’opposé des recommandations du congrès de la Soummam ou celui du CNRA de Tripoli. Et, pis encore, en mettant sous le boisseau la Déclaration de Novembre 1954. De cette époque date le sigle R.A.D.P qui n’a pas repris les référents historiques qui envisageaient l’intitulé de la renaissance de l’Etat sous la forme de «République démocratique et sociale». Après la période grise, allant du 19 juin 1965 à décembre 1976 au cours de laquelle l’Etat fonctionnait sans loi fondamentale, Boumediène fera plébisciter une Constitution fortement inspirée par celle du franquisme espagnol et qui était la photographie parfaite du despotisme «bienveillant» mais où il n’y avait guère de place pour les libertés publiques. Plus tard, son successeur Bendjedid commanditera en février 1989 une loi fondamentale sous la pression de la révolte d’Octobre 1988. Bien que ce texte ait gommé toutes références idéologiques au «parti-Etat», il est demeuré tout à fait muet sur les nouvelles exigences de la société et notamment sur le paramètre identitaire. Précisément Zeroual «re-toilettera » la mouture en 1996 en y introduisant une dose d’amazighité et en dopant l’institution législative par la création d’une seconde chambre. Or, ces quatre Constitutions-clés, ayant accompagné les moments forts de la vie du pays, n’ont finalement eu que peu d’effet sur les modalités traditionnelles qui façonnèrent des légitimités de sérail. Elles ne servirent en fait qu’à légaliser des successions en interne du système. Comme des poupées russes qui s’imbriquent les unes dans les autres, ces Constitutions-là ne furent que des variations issues de la même matrice. Autrement dit, la filiation des pouvoirs, qui viennent traverser le demi-siècle de cet Etat, est clairement établie. D’où la suspicion justifiée de l’opinion face aux promesses de changement des mœurs politiques par la seule magie d’un ravalement du cadre institutionnel. Bouteflika, qui n’a rien d’un novateur en la matière, s’apprêterait donc à reprendre la recette de ses prédécesseurs par le biais de quelques cosmétiques juridiques afin de mettre en conformité avec l’air du temps une Constitution qui, à son tour, sera violée par petites agressions comme ce fut le cas le 12 novembre 2008. A moins que dans un improbable scénario, écrit par lui seul, le président devance les doutes en rendant public son projet de Constitution pour en faire le thème de sa campagne de mobilisation. Est-ce trop demander au premier des Algériens d’être concrètement crédible en ces temps cruciaux ?
B. H.
24 mars 2012
Boubakeur Hamidechi