Essai (broché).
Paru en 03/2010
Peut-on tout dire ? Comment se porte ce principe inscrit dans notre constitution, qui marie deux mots magnifiques : liberté d’expression ? Deux grands noms du rire ont répondu, séparément, à nos questions. Le premier, Dieudonné, est bien placé pour aborder le sujet ; l’ancien militant antiraciste, devenu ennemi antisémite numéro 1, est aujourd’hui quasiment interdit d’expression sur la scène publique. En a-t-il trop dit, trop fait ? Le second, Bruno Gaccio, a été durant seize ans le principal inspirateur des Guignols de l’Info, dont la liberté était le principe fondateur. Pour Gaccio, la liberté d’expression n’est pas un vain mot, et il s’inquiète des pressions de plus en plus insistantes des religieux, des communautés, des bien-pensants qui prétendent la corseter. Un livre qui parle de liberté, mais aussi du rire, de ses limites. Bref, de notre époque.
C’est avec lui que Michel Eleftériadès inaugure sa série de spectacles « politiquement incorrects ». Pour son unique soirée, Dieudonné a fait salle comble, un public enthousiaste et déjà conquis. Et c’est un peu cela le miracle libanais : le seul pays au monde où des artistes de tous bords et de tout genre peuvent se produire et remplir les salles. Dieudonné commence son spectacle en racontant comment il ne peut plus se produire dans les salles ou sur les plateaux de télévision en France, d’où le fait qu’il est contraint de le faire dans les bus. Accusé d’antisémitisme, il n’a plus accès aux salles en France et il ne peut pas non plus se produire dans les pays arabes et musulmans, faute de public averti et intéressé. Il ne lui reste donc plus que le Liban et « le militant pour la liberté d’expression, protecteur de toutes les différences », Michel Eleftériadès. Dans un sketch impressionnant, il parodie d’ailleurs son propre procès, se traitant de « comique chocolat », tout comme il mime une scène d’interview télévisée avec ses détracteurs et, soi-disant pour faire équilibre, avec son avocat qui ne pourra presque pas s’exprimer. Naturellement, il n’épargne pas la presse, selon lui, tendancieuse, qui coupe les passages dérangeants et est totalement à la solde des centres de pouvoir.
Pour cette soirée unique, le « music-hall » a donc troqué ses tabourets et ses coins feutrés pour des chaises bien rangées. Le décor est sobre, pour ne pas détourner l’attention générale de l’homme qui, pendant une heure et demie, va tenir tous les rôles, tournant en dérision la société et ses travers et se moquant de lui-même. Les sionistes, les musulmans, les athées, les femmes, les époux violents et les avocats illuminés, tout le monde y passe, suscitant les éclats de rire. Dieudonné ne peut pas être raconté, car, avec lui, il n’y a pas seulement les textes, il y a sa voix, ses accents multiples, ses gestes et les petites phrases qu’il fait passer discrètement et qui résument à elles seules une partie de la misère humaine.
Le mollah Jean-Christophe en train de briefer ses kamikazes à la veille des attentats du 11 septembre 2001 est ainsi un moment unique, avec des phrases du genre : « Faites attention au détecteur. Heureusement, il n’y a pas encore de détecteur de C… sinon vous y seriez passés. » Le mollah Jean-Christophe promet à ses kamikazes mille vierges par personne au paradis d’Allah mais il est complètement déboussolé lorsque l’un d’eux lui demande timidement s’il y aura aussi des hommes…
Mais le sketch le plus drôle, celui qui n’en finit pas de faire rire, c’est l’interview avec le chef d’État camerounais (Dieudonné est lui-même originaire de ce pays). Avec son ministre des Affaires de côté (pour la livraison de mallettes aux bonnes adresses) et celui du Papier, pour les promesses non tenues, le président africain raconte comment le peuple a voulu qu’il soit président à vie et « même mort, ils me voulaient comme président, mais j’ai dit, non, ce n’est pas démocratique »… Un peu plus tard, en réponse à une question de la journaliste, Dieudonné laisse entendre qu’il faut certains chefs d’État courageux pour laisser mourir les gens, car six milliards d’êtres humains, c’est trop pour la planète… L’Occident sûr de lui et de son mode de vie, et les dirigeants du tiers-monde, qui maltraitent leurs populations mais sont prêts à tout pour satisfaire « leurs maîtres », c’est le système tout entier qui est tourné en ridicule. Et derrière le rire, la tristesse et la révolte ne sont jamais t
25 mars 2012
Humour