C’est donc du cru et du nu et de profond : Heibete E’dawal, la Dignité de l’Etat, on la demande au peuple, plus aux siens. Là, il n’y a pas de ministres, ni de titres, ni de dignité mais seulement la bousculade, la guerre des salives. Quelque chose de profond, d’abyssal et de noir qui est le psychisme de toute une nation désormais : l’indignité de la préhistoire, de la famine et de la perte du nez et de l’humanité en soi. Ce sont ces gens-là qui se crêpent les chignons devant tout le monde, qui vous ont gouverné, qui ont reçu les étrangers à votre place, qui passent dans votre télé, qui vous gouvernent et vous demandent de ne pas couper la route, de mieux vous comporter et de ne pas brûler les pneus, et qui sont dans cet hôtel. Il fallait voir, bon Dieu, ces hommes d’Etat, ce soir-là ! Tout Alger en parle d’ailleurs de ce moment 62 qui rappelle la guerre de l’été de cette année, la course aux biens vacants.
C’est que tout le reste est une comédie, une mise en scène destinée aux apparences, aux anciens colonisateurs : au fond, rien ne change : on est dans un congrès de la Soummam chaque dix ans, un premier novembre chaque 50 ans, un assassinat de Messali chaque vingt ans et une guerre des wilayas chaque élection. Les seigneurs féodaux ne comprennent pas qu’on les ai poussés vers la poubelles après trois mandats de bon services et de loyautés visqueuses. Du coup, certains tentent une dernière dignité : annoncer eux-mêmes leur retrait des candidatures, avant que le peuple ne sache qu’ils ont été simplement chassés. Quant aux autres, et bien, la bousculade continue : avec les poings, les mains, les dents, les insultes. C’est la fin d’un Etat quand ses seigneurs se comportent avec si peu de dignité et d’honneur. Conciergeries ? Que non : les concierges algériens, eux, ont eu la dignité d’aller protester en ordre devant le ministère de l’Habitat, cette semaine, pour réclamer leurs droits.
27 mars 2012
Kamel Daoud