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Précisions à Rédha Malek

le 31.03.12 | 10h00

Le début de lecture de l’entretien accordé à l’occasion du 19 mars 1962 par monsieur Rédha Malek à votre journal, recueilli par S. Tlemçani, me fait réagir sur le point des contacts secrets avant 1962.
Mais avant cela, M. Rédha Malek, qui est, si je ne m’abuse, un bon francophone, tient des propos quelques peu légers, voire méprisants à l’égard de chouhada ; à moins que ses propos aient été mal rapportés, auquel cas la responsabilité de la «faute morale» (?) serait imputable à la journaliste qui sera alors considérée comme «bouc émissaire», comme savent bien faire certains politiciens et diplomates. A la question de savoir si «l’avis de cessez-le-feu locaux était partagé uniquement au sein de la Wilaya IV, il dit : «Il était (avis de cessez-le-feu) restreint à la Wilaya IV… Mais cela n’a pas pu se réaliser. L’affaire s’est arrêtée net après l’exécution des types.»

Les types, dans la bouche de Rédha Malek, sont les commandants Si Lakhdar, Halim et le capitaine Abdelatif, exécutés par le commandant Mohamed ; Si Salah devant se rendre à Tunis pour être entendu et jugé par le GPRA. Il convient de préciser que dans la démarche de la Wilaya IV, il ne s’est jamais agi de cessez-le-feu local comme nous le verrons plus loin. C’est, chez l’interviewé, de la diffamation et de la manipulation de l’histoire. Ces maquisards n’étaient pas des gueux.
Votre langue a fourché, monsieur Malek.
Ce ne sont pas ceux-là «les types», mais plutôt ceux qui, planqués à l’extérieur, loin du feu et des combats… attendaient patiemment que l’ALN soit exterminée, que la guerre n’ait plus cours, pour rentrer en Algérie prendre le pouvoir et l’exercer comme depuis septembre 1958 ou même un peu avant, après la sortie du CCE à l’extérieur, ce qui a constitué déjà une faute grave. Je ne sais si vous avez fait l’expérience du combat dans le maquis de l’une ou l’autre des six Wilayas d’Algérie de 1954 à 1962 autant que l’exercice diplomatique et plus tard politique ?
Qu’à cela ne tienne !
A la question de savoir si les contestations provenaient seulement de la Wilaya IV, vous parlez de «crise interne, de gens qui n’étaient pas contents, ce qui a donné lieu à la réunion des colonels vers la fin 1959 et qui a duré 94 jours». Vous occultez un pan entier de l’histoire de la guerre de Libération nationale et déformez les événements. Il y a de l’amnésie. Après la création des COM Est et Ouest en avril 1958 et celle du GPRA en septembre 1958, la contestation, la vraie, celle qui compte, a été celle des colonels de l’intérieur (Hadj Lakhdar de la W I, Amirouche de la W III, Si M’hamed de la W IV et Si Haouès de la W VI qui se sont rencontrés en décembre 1958 à El Milia dans le nord constantinois (en l’absence du représentant de cette Wilaya, faut-il le signaler) et non celle des colonels de l’extérieur, comme vous le soutenez. Une année les sépare, et puis… 94 jours ! bonté divine. Si M’hamed, présent à cette réunion de décembre 58, écrivait dans une lettre : «des instructions importantes ont été prises dans l’intérêt supérieur de la Nation. Fini les histoires de cloches» (il est facile de comprendre de qui traite Si M’hamed). Si M’hamed décède en septembre 1959, Amirouche et Haouès, qui devaient se rendre à Tunis rencontrer les types du GPRA, tombent dans une embuscade, ce qui arrivera d’ailleurs à Si Salah à M’Chedellah en juillet 1961, se rendant lui aussi à Tunis. Méandres et hasards de la route menant au gouvernement provisoire… ? Pendant que l’ALN se faisait exterminer, le FLN se renforçait et l’EMG est créé en janvier 1959. S’agissait-il de la réponse du FLN à l’ALN ?

A la question de savoir s’il y a eu des contacts secrets, Rédha Malek répond : «Pas avec le général de Gaulle». Pour rappel et confirmation, la rencontre secrète du 10 juin 1960 s’est faite entre la W IV (Si Salah, Si Mohamed et Si Lakhdar) et le président de la république française, le général de Gaulle en l’occurrence. Pourquoi l’occulter ? Cette rencontre s’est tenue à un niveau politique élevé et ne peut être banalisée comme vous le faites lorsque vous annoncez que «de Gaulle avait jeté son hameçon et Si Salah y a mordu». Vous êtes, une fois de plus, méprisant à l’égard de quelqu’un que vous n’avez pas rencontré sur le champ de bataille et pour ne pas avoir partagé les mêmes souffrances et enduré les mêmes sacrifices. En vous lisant, j’ai eu la sensation que vous cherchiez à faire plaisir à la partie adverse, d’autant que vous rapportez Michel Debré qui (vous) aurait dit qu’il n’y avait d’autre solution que de négocier avec le GPRA.

La différence entre les maquisards et les «politicards» est, je crois, là. A-t-on besoin d’entendre Debré pour se convaincre d’une réalité ou d’une évidence ou d’une règle de combat, de serment ?
Lorsque les représentants de la Wilaya IV se sont rendus à l’Elysée, Si Salah avait demandé à rencontrer les 5 prisonniers algériens, tout comme il avait affirmé à De Gaulle que la négociation de cessez-le-feu ne pouvait se faire qu’avec les représentants du FLN. La rencontre secrète de la W IV avec le Président français s’inscrit dans le cadre du discours sur l’autodétermination de septembre 1959. Pour l’histoire, il est bon, monsieur, de rappeler trois dates : la rencontre a eu lieu le 10 juin 1960 ; le 14 juin 60, de Gaulle lance un nouvel appel au GPRA et… le 20 juin 60 (voyez vous-même, c’est très très court) le GPRA, par la voix de Ferhat Abbes, répond favorablement à l’appel et annonce la constitution d’une délégation conduite par le président du GPRA chargée des négociations en vue d’un cessez-le-feu.

Ces dates ainsi que les propos tenus devant de Gaulle montrent, à l’évidence, que Si Salah ne voulait pas se substituer au FLN pour la négociation du cessez-le-feu. Le GPRA avait, par contre, très peur que les négociations de cessez-le-feu lui échappent, d’où sa précipitation à répondre favorablement et à dépêcher une délégation officielle. Le FLN prend peur, il se sent acculé, lui qui a traîné, tergiversé …
A signaler que les représentants de la Wilaya IV sont revenus au maquis. Par ailleurs, il faut indiquer que des contacts avec les autres Wilayas étaient engagés et que l’adhésion à la démarche était acquise.

Il faut préciser et mettre l’accent sur le fait que c’est cette opération de la Wilaya IV auprès de la présidence française qui a fait avancer l’avènement de l’indépendance de l’Algérie. Pas besoin de s’étaler, aujourd’hui ici, sur les déclarations de ministres du GPRA qui parlaient, en 1960 et 1961, d’un effort permettant de tenir 10 ans de guerre encore.
Monsieur Rédha Malek, qu’est-ce qui vous fait dire que Si Salah «était un homme brave et courageux» ?
La précipitation du GPRA à s’engouffrer dans la négociation permet de dire que Si Salah, à travers cette audacieuse et salutaire démarche, a donné un coup de pied dans la fourmilière, à l’extérieur.
Elle a, par ailleurs, provoqué d’énormes remous en France tout comme elle est à l’origine des événements insurrectionnels des militaires français contre leur hiérarchie et autorité. Les généraux français se sont sentis floués. Comment se fait-il que le président de la République reçoit des types qui n’ont à ses yeux aucune considération, réduits d’ailleurs à l’extermination ? C’est, à bien des égards, celui-ci qui s’est fait piéger par celui-là.

Parlant de Si Salah, vous annoncez qu’il reprochait au GPRA une «certaine mollesse qui, faut-il le préciser, n’était que le fruit de propagande française».
C’est faire preuve de mépris, de mésestime et de médisance que de tenir de tels propos.
Soit vous ne savez pas les reproches que Si Salah faisait au GPRA et à l’EMG, soit vous déformez volontairement la réalité, vous manipulez l’histoire et vous occultez la vérité, comme pour faire plaisir à la partie adverse. Si Salah, qui s’est rendu au Maroc et en Tunisie (mi-1957 à mi-1958) pour exposer la situation des maquis, envoyer des armes, des munitions, des hommes et des médicaments à l’intérieur n’a pas vu une certaine mollesse mais gabegie et incurie du luxe des «seigneurs de palaces».
On lui a proposé le poste d’adjoint de chef d’état- major de l’Ouest, le poste de chef d’antenne de la W IV à l’Est, qu’il a refusés. De retour, traversant la ligne électrifiée, accompagné, entre autres, de Rahmouni, Aït Idir, Benbatouche (accroché par les fils barbelés électrifiés), en W4, il écrit «la joie du retour». Son action et parcours étaient (et sont toujours) forts de sens et d’engagement, de lucidité, d’intelligence, de conviction et de fidélité aux idéaux de Novembre… et pas seulement de bravoure et courage.
Monsieur Ferhat Abbès, président du GPRA, me disait en avril 1984, que Si Salah lui avait écrit, en février 1960, une longue lettre: «La

Wilaya IV mettait en accusation l’état-major. Elle lui reprochait de stocker armes, munitions et argent pour son usage personnel plutôt que de les lui faire parvenir. Elle lui reprochait de ravitailler certaines Wilayas au détriment d’autres. Enfin, Si Salah, s’adressant directement à moi, me demande de trouver à tout prix le moyen de négocier et d’arrêter la guerre». Pendant que les maquisards se faisaient exterminer par l’ennemi, les politiques algériens, à l’extérieur, réfléchissaient à l’avenir, à l’après-guerre, à une société dans laquelle l’armée des frontières serait un instrument au service du pouvoir politique. Alors, pour la «mollesse», relisez le courrier de la W IV au GPRA. Dans son rapport, la Wilaya IV a traité le FLN de trahison, qualifiant ceux qui exercent leurs activités hors du territoire national de «ramassis d’aventuriers, d’ambitieux ignares, de monstres criminels» animés du seul désir de domination. Non, monsieur Rédha Malek, ne traitez pas l’histoire avec autant de légèreté et encore moins les chouhada. Dans son courrier au GPRA, Si Salah écrivait aussi : «Nos grands martyrs… ont forgé la conscience du peuple algérien. Une conscience, un esprit assoiffés d’une liberté véritable que ne pourrait aliéner… la dictature des ambitions, de ceux qui, sous couvert de vagues nécessités ethniques, idéologiques ou religieuses, se servent de notre combat pour asseoir ou préserver des privilèges».

Rabah Zamoum. Fils du colonel Si Salah.Auteur de Si Salah, mystère et vérités, Ed.Casbah 2005, mars 2012

© El Watan

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À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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Une réponse à “Précisions à Rédha Malek”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    SI SALAH : Mystère et vérités (Récit – Casbah Éditions, Alger, 2005)
    Un livre rédigé par son fils Rabah Zamoun, qui nous tente de nous éclairer sur les négociations avec le général de Gaulle dès le 10 juin 1960, vu coté Algérien.

    Mohamed Zamoum, dit Si Salah, a participé au tirage de la proclamation du 1er Novembre, en son village Ighil Imoula. Il effectue pour le compte de la Wilaya IV une mission au Maroc et en Tunisie. Navré et écœuré, il revient à l’intérieur refusant les postes à l’extérieur.
    Devant l’abandon des maquis, Si Salah et ses deux adjoints rencontrent le président De Gaulle le 10 juin 1960 pour discuter du contenu de l’autodétermination. Le 20 juin 1960, le GPRA décide d’envoyer une délégation pour engager les négociations. Ayant accéléré le processus d’indépendance, Si Salah ne vivra pas jusqu’au cessez-le-feu, puisqu’il tombera dans une embuscade le 21 juillet 1961 à M’chedellah (Maillot, Bouira).”

    Lu dans Horizons du 12 juin 2005

    Dans les livres d’histoire, son nom reste surtout associé à la visite en juin 60 à l’Elyséé pour y rencontrer, avec deux autres officiers supérieurs de la wilaya IV (Si Lakhdar et Si Mohammed de son vrai nom Djillali Bounaâma), le général De Gaulle.
    Erreur confinant presque à la haute trahison pour les uns et geste qui accéléra l’indépendance de l’Algérie pour d’autres, les historiens qui ont beaucoup écrit sur « l’affaire Si Salah » se perdent en conjectures….
    Une charge contre le GPRA
    L’auteur a voulu réhabiliter l’homme en chargeant surtout la direction de la révolution qui depuis la fuite du CCE s’est réfugiée à Tunis. Il sollicitera d’ailleurs le témoignage de deux présidents du GPRA pour soutenir son argumentaire. Les vrais héros et révolutionnaires étaient ceux qui supportaient les affres de la guerre à l’intérieur. Ouamrane qui eut un entretien avec lui déclara que « des erreurs très graves ont été commises vis à vis de l’intérieur.
    La mission d’approvisionner les maquis en armes, munitions et argent n’a pas été couronnée de succès ». Ferhat Abbas rencontrant l’auteur une année avant sa mort impute tout à l’état-major. « Le GPRA, dit-il, a réuni un armement, surtout en Chine pour tenir dix ans encore ». Il s’interroge : « Est-ce que l’état-major avait des arrière-pensées et qu’il voulait s’en servir pour prendre le pouvoir à l’indépendance? ».
    Dans « Algérie Nation et société », Lacheraf écrira: « Le GPRA, détenteur officiel de l’autorité nationale, n’a rien fait, l’éloignement aidant, pour que son pouvoir de gestion soit vraiment un pouvoir révolutionnaire de prise directe, pour maintenir une autorité suprême indiscutable et un seul moteur de restauration nationale ». C’est dans ce contexte de déchirements et de conflits feutrés ou ouverts entre les dirigeants de la révolution qu’intervient l’initiative des trois officiers de la wilaya IV qui feront le voyage parisien.
    En 1987, Pierre Montagnon, un ancien parachutiste, avait édité « L’affaire Si Salah » qui fourmillait de détails sur la genèse et le déroulement de cette initiative politique. Tout aurait commencé avec une rencontre du côté de Aïn Defla entre Si Salah et le bachaga Boualem qui le mit en contact avec les militaires français. Lakhdar Bouregaâ, qui fut responsable militaire de la zone 2 (Atlas blidéen) réfute le contenu de ce livre sur un point essentiel.
    Au delà de la proximité de l’auteur avec Challe dont il fut l’aide de camp, Bouregaâ nous affirme que Si Salah était resté durant toute sa période de commandement dans la zone 1 (Palestro). De Gaulle, dans le sillage du plan Challe, avait donc asphyxié les maquis mais pour autant la « paix des braves » dont il se faisait le chantre ne signifiait pas reddition encore moins trahison chez ceux qui prirent contact avec lui. L’auteur se réfère au meilleur biographe de De Gaulle, J. Lacouture, qui écrit « que loin d’agir en francs-tireurs et a fortiori en dissidents de la direction du FLN, Si Salah et les siens se présentaient en avant-garde ».
    Ils voulaient en quelque sorte forcer la main au GPRA enlisé dans les querelles et calculs de ses responsables et oublieux des souffrances des combattants. Mais pourquoi De Gaulle préféra traiter avec les responsables du GPRA (dix jours après la rencontre de l’Elysée, s’engagèrent des pourparlers à Melun) ? Est-il déjà convaincu qu’il fallait « lâcher » l’Algérie ? Le putsch des généraux en avril 61 était-il à lier à cette initiative avortée de paix avec les combattants de l’intérieur ? Dans quelle mesure les services français avaient-il tenté d’instrumentaliser une initiative qui, à l’origine, était peut-être louable ? Destitué de son poste, Si Salah aura un meilleur sort que deux de ses proches, Halim et Si Lakhdar, qui seront jugés et exécutés.
    Il tombera en juillet 61 près de M’chedellah (versant sud du Djurdjura) alors qu’il était en route pour Tunis pour s’expliquer devant le GPRA. Pour un auteur comme Montagnon, les Français voulaient l’éliminer pour clore des témoins gênants. Son fils Rabah suggère que son successeur (Djillali Bounaâma), qui sera moins d’un mois plus tard éliminé à Blida, l’aurait « vendu » ? Pourquoi Mohand Oulhadj, chef de la wilaya III, mis au parfum, s’est-il rétracté à l’image de Djillali Bounaâma ? Le premier a-t-il flairé un piège ? Le second était-il seulement mû par des appétits de pouvoir ? Avec ce livre, le mystère n’est pas encore levé et les vérités pas entièrement rétablies.

    L’AFFAIRE SI SALAH, tirée de « Ce que je n’ai pas dit » du général Jouhaud (Fayard)

    P.149 à 152

    L’affaire Si Salah fournirait, s’il en était besoin, la démonstration de la volonté du président de la République de traiter avec le seul G.P.R.A. pour négocier avec lui l’indépendance de l’Algérie, à l’exclusion de toute autre solution.
    Cet épisode fut malheureusement peu ébruité à l’époque, mais on connaît aujourd’hui l’essentiel des tractations qui ont eu lieu entre les autorités françaises et les chefs de la wilaya 4.
    Résumons-les :
    Le 17 mars I960, le colonel Si Salah, par l’intermédiaire du cadi de Médéa, s’informe auprès du gouvernement français des conditions d’un éventuel « cessez-le-feu ». C’est une réponse positive à la « paix des braves » offerte par De Gaulle.
    Comment Si Salah, ce guerrier courageux, qui l’année précédente avait participé à la répression sanglante de sa zone, que menaçait la démoralisation de certains chefs, en était-il arrivé, à son tour, à vouloir déposer les armes ?
    Comme ses adjoints et ses hommes, les « djounouds », il se rend compte de la vanité des buts que poursuivent, à l’extérieur, les chefs rebelles. L’amertume dans les djebels est grande. Les coups portés par l’armée française ont réduit le potentiel militaire des « hors-la-loi ». Les cadres qui combattent se sentent abandonnés par les politiques de Tunis, qui paraissent dominés par leurs ambitions. Le soutien logistique ne franchit plus les frontières. La population musulmane ne ravitaille plus les maquis, renseigne même les forces françaises.
    Que faire, sinon reconnaître l’inanité de la lutte ? Il faut donc traiter, mais dans l’honneur. Il ne s’agit pas de tourner les fusils contre les frères d’armes, comme l’a fait Bellounis, mais au contraire il faut rallier le maximum de wilayas à seule fin d’arrêter un combat sans issue et de participer à la construction généreuse d’une Algérie nouvelle, fraternelle, telle que semble l’envisager De Gaulle.
    C’est donc à ce dernier que s’adresse Si Salah pour engager des négociations.
    Le général De Gaulle ne peut balayer d’un revers de main les propositions de la wilaya 4. Il peut toutefois les faire avorter. L’action qu’il mènera se traduira par un échec, dû à une maladresse insigne ou à une volonté délibérée de ne pas aboutir.

    Qu’on en juge.
    Les rebelles veulent donc traiter directement avec De Gaulle, qui désigne, pour engager les contacts, le colonel Mathon, du cabinet de Debré, et son homme de confiance, Bernard Tricot. Je ne saurais douter de la probité intellectuelle de ce dernier. Mais, pour profiter de la rupture entre les organisations intérieure et extérieure rebelles, la désignation de ce grand commis de l’État était-elle vraiment opportune ?
    C’est un technocrate qui, dans la solitude de son bureau élyséen, ne croit qu’à l’émancipation de l’Algérie. Les seuls interlocuteurs valables, à ses yeux, sont les dirigeants de Tunis. Aussi lorsque, dira-t-il, intervient « cette affaire extraordinaire : toute une wilaya, semble-t-il, veut négocier pour un cessez-le-feu partiel », il est sceptique, car ce n’était pas du tout dans ses projets. Pour lui, l’essentiel est la négociation avec le F.L.N.
    Il faut tout de même discuter avec Si Salah, car, « dans la mesure où il y aurait eu avec la wilaya 4 des négociations qui auraient avancé, qui auraient donné au G.P.R.A. le sentiment qu’il fallait mettre fin au conflit parce que ses troupes ne suivaient pas, ce devait être un adjuvant pour ces négociations avec le F.L.N. ». (Laurent theiss, Philippe ratte, op. cit)
    Ainsi, pour Bernard Tricot, la négociation politique et la reddition militaire sont liées : une reddition militaire obtenue sans consultation du G.P.R.A. ne risquerait-elle pas de faire échouer l’accord à conclure avec le F.L.N. ?
    Or. pour l’Elysée, cet accord est indispensable à la paix en Algérie.
    A Tunis, le G.P.R.A. ne peut s’éloigner de deux impératifs : préserver l’autorité de l’exécutif et ne rien concéder à la paix sans que l’avenir politique ne soit au préalable assuré. La menace que pourra faire planer le gouvernement français, avec la « paix des braves », incitera Tunis à reprendre ses chefs en main pour déjouer la reddition. On n’ignore pas à Paris le sang qui coule lors de chaque purge. C’est une grave menace pour les chefs de la wilaya 4, dont l’Elysée ne tiendra pas compte.
    Le 10 juin 1960, le président de la République reçoit, à l’Elysée, trois chefs rebelles. Qui sont-ils ? Si Salah, le chef de la wilaya 4, le commandant Mohammed, un « dur » qui s’est distingué par sa cruauté dans les purges antérieures, et le responsable politique Lakhdar. Entre temps, ces trois hommes ont pris des contacts avec d’autres chefs de wilayas. Ils tiennent pour certain que les armes seront déposées dans une région allant de l’Ouarsenis à la Grande Kabylie et de la côte à l’Atlas saharien. La contagion gagnant, sans doute peut-on espérer assurer la paix dans toute l’Oranie, l’Algérois et la Grande Kabylie.
    L’opération est inespérée. Que se dirent De Gaulle et ses visiteurs ? On l’ignore, mais on sait que le chef de l’État reçut ses interlocuteurs avec hauteur ; il refusera même de leur serrer la main à la fin de l’entretien. Ce n’est pas dans les traditions françaises. Lorsque Abdel-Kader fit sa soumission, les honneurs militaires lui furent rendus par le colonel de Montauban. Il était d’usage dans l’armée d’Afrique de saluer le courage des vaincus. L’attitude de De Gaulle froissa Si Salah. En outre, ce dernier, qui ne veut pas passer pour un traître, demande à s’entretenir avec un chef historique, Ben Bella, pour le mettre au courant de la situation critique des wilayas et de l’impossibilité de continuer la lutte à l’intérieur de l’Algérie. Obtenir l’aval de Ben Bella est pour lui indispensable sur le plan moral ; cet accord enlèvera tout scrupule aux chefs des wilayas qui seraient encore hésitants. L’autorisation de se rendre au château d’Aulnoye lui est pourtant refusée.
    Le 14 juin, De Gaulle, dans une allocution télévisée, se tourne vers les dirigeants de l’insurrection. Il leur déclare les attendre « pour trouver avec eux une fin honorable aux combats qui traînent encore, régler la destination des armes, assurer le sort des combattants. Après quoi, tout sera fait pour que le peuple algérien ait la parole dans l’apaisement. La décision ne sera que la sienne »…
    Ce discours sonne comme un glas au cœur des chefs de la wilaya 4. Que vont répondre, aujourd’hui, à leurs sollicitations les autres rebelles puisque c’est avec Tunis que De Gaulle a décidé de traiter ? Se sentiront-ils le droit de compromettre les négociations politico-militaires entre les gouvernements français et algérien ? S’ils persistent dans leurs intentions, n’auront-ils pas trahi la cause qu’ils défendent ? L’erreur tactique de De Gaulle, si toutefois elle n’a pas été volontaire, lui fera perdre la partie tant auprès du G.P.R.A. que des chefs luttant à l’intérieur de l’Algérie.
    Pour le président de la République, ce ralliement de wilayas entrait dans le cadre de ces « péripéties » qui n’étaient pas de nature à résoudre le problème, du moins tel qu’il le concevait. Si Salah et le capitaine Lakhdar paieront de leur vie leur initiative. Le commandant Mohammed, ayant compris que l’opération projetée ne pouvait plus qu’échouer, n’hésita pas à châtier ses anciens compagnons.
    Jamais la France n’était passée aussi près de la victoire.
    Supposons un instant que l’initiative prise par Si Salah ait été couronnée de succès. Le cessez-le-feu serait intervenu dans la plus grande partie, sinon dans la totalité de l’Algérie.
    De Gaulle aurait-il encore pu parler d’indépendance, traiter avec le G.P.R.A. ?
    Comment concilier cette politique avec l’humiliation que subirait l’armée, mise en demeure de brader un territoire français, alors que l’ennemi venait de capituler ?
    C’est pourquoi De Gaulle ne pouvait, en raison des buts politiques poursuivis, accepter les propositions de soumission de Si Salah.
    Des succès non décisifs de nos troupes lui suffisaient pour modérer tout complexe de supériorité de nos soldats et pour le faire apparaître, aux yeux de l’histoire, comme le souverain magnanime, accordant généreusement l’indépendance à des sujets révoltés.
    « L’ex-général De Gaulle de Londres » restait peut-être également persuadé de la légitimité des gouvernements en exil qui, seuls, représentaient valablement leurs compatriotes. C’était avec les responsables de l’extérieur qu’il fallait traiter.
    C’est pourquoi Si Salah, en s’adressant à De Gaulle, avait signé son arrêt de mort.

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