Les médias et les membres du gouvernement français avaient eu très tôt ce mot à la bouche à propos de Mohamed Merah… «Un monstre d’origine algérienne». «Clairement, l’homme qui a tué est un homme qui se considérait musulman avant d’être Français», a déclaré la présidente du Front national (AFP, mercredi 21 mars 2012, 13h29).
Avec en filigrane le message subliminal : la France a subi une agression extérieure. Quoi de plus normal et de plus logique que de renvoyer les monstres là d’où ils viennent. Une sorte de double peine post-mortem. Il n’empêche, Mohamed Merah est français, né en France et y a toujours vécu. Il semblerait même qu’il ait été un «indic» de la police et des services français (si l’on en croit l’ancien chef de la DST — Direction de la surveillance du territoire — Yves Bonnet qui s’en est ouvert à la Dépêche du Midi). Algérien sans doute, mais algérien décoratif, faute de mieux, comme la multitude dispersée aux quatre vents qui prolifère dans les faubourgs dans grandes métropoles européennes. Et l’Algérie serait tenue de recueillir les désordres français ? Les banlieues françaises sont des usines à indigence et à confusions. Que la France s’en dépêtre et qu’elle se débrouille avec ses tératologies ! Semble être la position des autorités d’Alger. Même morts, les émigrés et leur progéniture ne savent à quel monde appartenir. Une mère en France, un père en Algérie, un gosse qui tue les enfants dans les cours d’école, des victimes dont on clame hautement la francité et qu’on enterre à l’étranger (au Maroc et en Israël), on comprend que beaucoup ne s’y retrouvent pas dans cette saga surréaliste semée de cadavres. Et de Mohamed Merah, personne ne veut ! Entre «Le cadavre encerclé» et «Mohamed prends ta valise», Kateb Yacine aurait, de ce vaudeville douteux, conçu une tragédie. Toutefois, la position algérienne eût été plus digne, plus défendable et plus compréhensible si, au-delà des simples démarches administratives, l’Algérie avait maintenu un lien étroit avec sa communauté à l’étranger, si elle s’était occupée de nos ressortissants expatriés au lieu de les abandonner à eux-mêmes depuis des lustres, sous prétexte d’un nouveau régime «démocratique» qui sépare la société civile des organisations politiques. Merci Chadli ! On a tué l’«Amicale des Algériens en Europe» qui a dérivé il est vrai (comme le reste) au point de ne plus du tout correspondre à ses objectifs initiaux, mais on l’a remplacée par le vide. On a remplacé partout l’ordre de l’Etat (qui, comme le hurlent les privés – de rien empêche les génies de créer) non par un ordre marchand prospère, mais par le néant informel, par la magouille, par la corruption, par la médiocrité économique et culturelle généralisée, par une baisse de qualité monstrueuse et une perte de substance gravissime pour l’avenir. Avec la dissolution de l’Amicale, des combinaisons entre copains et coquins, on est passé à un paysage informe (comme partout en Algérie) d’associations déstructurées, d’ego surdimensionnés (c’est la mode à Panam), de coups bas sordides entre amis, de manips où tous les services s’en donnent à cœur joie, de rivalités intermaghrébines inconvenantes, de querelles picrocholines autour des mosquées…En un mot, on est passé du désordre local au désordre global, sans cap et sans repères. La paralysie depuis le «traité d’amitié» avorté entre Alger et Paris a laissé ces populations à leur sort habituel : chômage, délinquance, drogues, échecs scolaires… et, à chaque scrutin, un enjeu électoral, une occasion de réécrire l’histoire et de régler de vieux comptes. Les grabataires ressortent du placard pour se refaire une virginité, des médailles, des monuments, des dignités mémorielles sous la protection des lois de la Républiques et, soyons réalistes, des pensions sonnantes et trébuchantes. «Mohamed Merah ? Un monstre comme ceux que nous combattions dans les djebels !» C’est ce message entêtant que n’ont pas cessé de déverser les médias et les politiques français tout au long de ces dernières semaines. Et l’affaire Merah au cœur de la présidentielle française a atteint des sommets en matière de manipulation de l’opinion. Il s’ensuit que le refus subreptice du gouvernement algérien d’accueillir dans notre pays les restes de Merah n’est pas la bonne réponse. Une guéguerre à fleurets mouchetés de part et d’autre de la Méditerranée, une réaction tactique sans stratégie qui n’est pas à la hauteur de la commémoration du 50e anniversaire de l’indépendance algérienne et ruine par avance le lustre des festivités prévues pour la glorifier. Le louvoiement observé de l’exécutif algérien devant les secousses que connaissent les pays arabes, du Maghreb à la Mésopotamie, souligne un grave déficit extérieur qui se limite à parer les coups (tordus) et à réagir selon les circonstances, profitant des maladresses d’une opposition ectoplasmique et de leurs donneurs d’ordres. Cela ne fait pas une politique internationale. Ce jeudi, les BRICS se réunissent en Inde pour dessiner les contours d’un monde nouveau. Quand on se souvient de 1974 à New York et de la place de l’Algérie au cœur des Non-Alignés, c’est à New Delhi que Bouteflika aurait dû se trouver, pas à Baghdad où s’organise à reculons une subversion indigne contre le régime syrien. De ce point de vue, le cas Mohamed Merah est aussi le révélateur d’une faillite diplomatique et politique de notre pays ! Une de plus, une de trop.
Djeha J.
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/04/01/article.php?sid=132264&cid=49
1 avril 2012
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