Au Sud donc, les listes électorales, selon des collègues, se fabriquent sur la base des quotas de tribus et de couleurs : une dose de blancs et une autre pour les anciens esclaves ou les chefs de clans. Même les fils prodiges qui reviennent du Nord pour chevaucher les listes, instruits ou hauts cadres ou pas, vont d’abord embrasser les mains des cheikhs et décrocher leur «bénédiction». Celle-ci vaut déjà plus que «l’enquête d’habilitation» des «Services» et de la police politique. Cela se passe ainsi dans les Hauts-Plateaux et au nord du nord aussi. Les Algériens en sont revenus à la dernière formule valable pour partager la vache morte : les généalogies de leurs ancêtres. Tout ce qui a été tenté entre l’indépendance et l’introduction du téléphone portable a échoué. Donc, autant revenir aux anciens. Il n’y a plus de militants, sauf dans les villes, et pas toutes. Dans le reste du pays, le pays revient à la croyance, le clan, la vassalité.
Cette nouvelle cartographie est visible aujourd’hui dans les listes électorales et dans le reste des répartitions des pouvoirs et des légitimités. Elle va plus loin et plus profond que la géographie habituelle des «régions» et des wilayas historiques, qui sert de tableau de bord aux nominations, rentes, hommages et exclusions. Que faut-il y voir ? La vérité : il ne faut pas se mentir : les Etats «arabes» sont souvent des échecs et leur nationalisme est un dessin de territoire pas des convictions unanimes et collectives. Aujourd’hui, le pays remonte le temps, lentement. Il en est au stade de l’avant Emir Abd El Kader. Juste après la grimace d’Ibn khaldoun et son verdict sur l’impossibilité de gouverner et de fonder un Etat avec des coureurs de butins et de chevaux.
Il ne faut pas se mentir donc : c’est la même histoire autour des puits qui se rejoue et vers laquelle on pousse la nation. Sauf que là, le pétrole a remplacé l’eau. Dans le même désert.
1 avril 2012
Kamel Daoud