Ensuite la phrase dit « en raison des changements dans les régions minées ». Et cela est si vrai. La colonisation a laissé un tracé de frontières minées qui nous vaut des pays brefs, des frontières absurdes, des guerres, du trafic d’êtres humains, des divorces, des routes d’essence et du Marlboro et des traites de noirs ou des kidnappings de blancs. Toute frontière est minée, et encore plus lorsqu’elle est léguée par une colonisation et piégée par une mauvaise décolonisation. On le sait entre marocains et algériens, tchadiens et libyens, tunisiens et algériens, algériens et marocains, marocains et Sahraouis, Sahraouis et mauritaniens et sénégalais etc. Les pays sont ainsi des «régions minées», pas des nations établies. Quand un pays marche sur une frontière minée par un Colon, curieusement, c’est comme une personne : un pays peut perdre un bras, une jambe, les deux ou un morceau ou même Tombouctou et un œil et ne pas être remboursé. Ensuite, la phrase dit « en raison des changements ». Car les frontières, plus que la terre et les couches de la terre, bougent et tuent et glissent. Depuis le départ du Colonisateur, les frontières entre certains pays bougent et glissent et se trouent. 50 ans après, des pays comme l’Algérie et le Maroc n’ont pas encore tracé définitivement leurs frontières malgré les accords. Les éditeurs de guides internationaux et des Atlas pour touristes ou géographes le savent, eux qui tracent les frontières, entre pays africains, avec des pointillés comme si l’on marchait sur la pointe des pieds.
C’est dire que les victimes des cartes de déminages des anciens colons sont nombreux, et sur la moitié du monde. Mais c’est dire aussi que les mines sont aussi toutes neuves parfois. C’est ce qui se passe justement un peu dans le Maghreb aujourd’hui, hiérarchisé entre des tribus en Libye, une secte en Tunisie, un clan en Algérie et une famille au Maroc. Les frontières sont en train de bouger et des mines explosent et des cartes se redessinent et des gens meurent ou perdent le tibia et la tête. Les cartes remises par les autorités coloniales se heurtent aux cartes héritées des autorités légendaires et mythologiques et tribales. L’ancêtre contre le Colon. Les morts contre les vents. Tombes et Tombouctou. Mines et mannes pétrolières.
6 avril 2012
Kamel Daoud