Il était un temps où on était heureux de croiser une connaissance, partager un brin de causette. Demander après l’autre qu’on a perdu de vue. Lui transmettre un bonjour. Rappeler des anecdotes, mettre à jour les «anecdoutes» sans méchanceté. Aujourd’hui, c’est à peine, kirak khouya. Sans attendre aucune réponse, il a déjà présenté son verso ! Cette expression a depuis longtemps perdu son sens initial. En fait, elle n’a plus aucun sens. On bouge les lèvres et on sort cette banalité pour faire face au regard de l’autre, faut bien dire quelque chose, quand on croise un visage connu.
Une «rencontration.» C’est tout. Situation ma tachkorche. Par contre, il y a danger lorsqu’on dit kirak à une glu désabusée par la vie.
Alors là, on a le droit à tout son historique depuis presque sa naissance. C’est la bérézina assurée !
Un autre kirak, lui, laisse place à une stratégie urbaine consistant à feindre de ne pas voir l’autre pour éviter tout rapprochement, tout liant que peut-être le « Comment ça va ? » Il y a le kirak, ya dra ça va ? hypocrite, insidieux
c’est le tordu qui espère bien collecter quelques news croustillantes à raconter dans le quartier et au-delà. Il y a une tactique très connue qui consiste, au moment précis où l’information est entendue, à la traiter immédiatement selon ses codes intimes et la valeur du jour, et à la recracher aussitôt, déformée, aggravée, appuyée et évoluée. Il suffit de lui répondre «ça va pas», le reste khatik
. «Tu sais, j’ai rencontré untel, je ne l’ai pas vu pendant des mois, il m’a fondu le cœur, il n’a rien voulu me dire, mais tu penses
j’ai tout lu sur son visage. Les problèmes qu’il a avec sa femme, ses rhumatismes, son boulot, sa voiture, ses enfants, son estomac
Khalota kbira! ». Juste s’il ne vous a pas
enterré.
Méfiez-vous alors du kirak qui vous veut du bien et bonne année.
7 avril 2012
El Guellil