Chronique du jour : A FONDS PERDUS
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Comment parfaire les mécanismes de lutte contre la corruption des fonctionnaires ? C’est une question à laquelle s’efforce de répondre une étude publiée le 28 mars dernier par l’Initiative pour la restitution des avoirs volés (Star) de la Banque mondiale et de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime(*).
Au titre des recommandations principales figure l’obligation pour les agents publics de déclarer leurs avoirs, leurs revenus et leurs intérêts. Pour les auteurs du rapport, «la déclaration des avoirs et des revenus contribue à créer un climat d’intégrité au sein de l’administration publique, incite les citoyens à avoir confiance dans les hauts fonctionnaires et, en fin de compte, prévient et permet de détecter l’exploitation des charges publiques à des fins privées ». Le rapport, qui est la première étude des textes et des pratiques concernant la déclaration des informations financières menée à l’échelle mondiale (il s’agit de textes de loi de 88 pays relatifs à cette même déclaration et de 11 études de cas), parvient, notamment, à une autre conclusion que les systèmes de déclaration des avoirs sont d’autant plus efficaces que des mécanismes crédibles de détection et de sanction des infractions existent. En donnant une description générale des différents types de systèmes de déclaration des avoirs et des revenus (Income and Assets Disclosure – IAD), le document cherche à asseoir des capacités et des liens institutionnels efficients. «Les citoyens veulent que leurs représentants fassent honnêtement état de leurs revenus et de leurs avoirs, pour s’assurer qu’ils ne pillent pas les coffres de l’État ou accumulent des richesses mal acquises», explique Jean Pesme, coordinateur de l’Initiative pour la restitution des avoirs volés. Dans le même temps, «cela contribue à créer un climat d’intégrité et de confiance dans les hauts fonctionnaires de l’État ». Rappelons que, d’un point de vue plus contraignant, la mise en place des systèmes de déclaration financière pour les agents publics est par ailleurs préconisée par la Convention des Nations unies contre la corruption (Cnucc), qui est entrée en vigueur en 2003 et qu’ont ratifiée ou à laquelle ont adhéré 159 pays. Parmi les sujets qu’elle aborde figurent les questions difficiles des objectifs et de la portée de l’obligation de déclaration des informations financières, des méthodes de vérification, des sanctions et de leur application, et du sujet souvent controversé de l’accès du public aux informations communiquées. L’étude fait également valoir que le contexte importe et présente des recommandations concrètes pour ajuster les régimes de déclaration des avoirs et des revenus aux situations particulières des différents pays. La publication se compose de deux volumes : le Volume I est destiné aux experts (décideurs et praticiens concernés par les questions de déclaration des avoirs et des revenus), ainsi qu’à tous ceux qui s’intéressent aux outils et aux procédures de lutte contre la corruption. Le guide examine successivement les modalités institutionnelles et les cadres réglementaires des systèmes IAD, la portée et la couverture de ces systèmes, et les capacités institutionnelles dont ont besoin les organismes d’exécution pour s’acquitter de leur mission. Le Volume II est un exercice de droit comparé. Il examine les systèmes IAD de dix économies (Argentine, Croatie, États-Unis, Guatemala, Indonésie, Jordanie, Mongolie, République kirghize, Rwanda et Slovénie) et d’une région administrative spéciale (RAS de Hong Kong, Chine). Cinq conclusions principales sont soulignées :
1- L’importance du contexte et des objectifs (pour qu’un système IAD soit efficace, il est essentiel d’adapter sa conception et de veiller avec soin à son application) : en l’occurrence, il faut savoir où mettre les pieds et s’assigner des buts précis.
2- L’importance cruciale de l’adaptation du système (la portée et la couverture d’un régime IAD efficace et crédible doivent être fonction du profil de risque du pays considéré et de ses capacités en termes de ressources) : il ne s’agit pas ici de faire du mimétisme, de la greffe ou du «copier-coller» mais d’adopter une démarche «botton-up» qui parte de la base pour remonter aux plus hauts niveaux.
3- L’examen crédible des informations produites par les déclarations des avoirs et des revenus (les problèmes qui se posent en la matière tiennent à l’insuffisance des ressources internes et des capacités de gestion des données) : en l’espèce, il s’agit d’accroître les capacités de collecte, contrôle, de vérification et de gestion des informations.
4- L’importance d’assurer au système IAD impact et crédibilité, pour pouvoir exercer, «à la fois, une menace crédible de détection des infractions (notamment la non-divulgation d’informations ou la soumission de données en retard/fausses) et une menace crédible de répercussions en cas d’infraction» : il ne suffit donc pas d’inscrire le délit dans la loi, encore faut-il le réprimer efficacement tout en préservant les droits légitimes des intéressés.
5- L’accès du public aux déclarations (en conciliant cette préoccupation avec le droit de la personne soumettant la déclaration à protéger sa vie privée) : lettres anonymes et dénonciations arbitraires peuvent instaurer un climat de suspicion (dans lequel sévissent mouchards et règlements de comptes) susceptible de mettre en cause tout le système.
La Banque mondiale aborde ici une question fondamentale, au croisement de toutes les constructions juridiques et politiques d’un Etat moderne. William Bourdon, avocat au Barreau de Paris et fondateur de l’association Sherpa, dont le but est «de défendre les victimes de crimes commis par des opérateurs économiques », estime qu’il est «crucial pour la démocratie de mettre en œuvre des sanctions plus dissuasives, pour pénaliser des comportements qui pervertissent les institutions politiques et l’espace public». «La corruption est un cancer pour l’Etat de droit, la démocratie et le développement. S’agissant du développement, la corruption est plus une source de paupérisation dans les pays pauvres que dans les pays riches. Mais elle reste un poison qui peut mithridatiser à chaque instant la république. Elle est d’abord un facteur de privatisation de l’espace public. Elle aggrave d’une façon nette la perte de confiance (…) entre les citoyens et ceux qui sont chargés d’incarner le bien public et l’intérêt général. Elle pousse ceux qui en sont les acteurs à violer la séparation des pouvoirs. Parce que quand on corrompt ou quand on profite de sa fonction, pour s’enrichir, on n’a qu’une obsession : organiser son impunité. Nécessairement, on fait se retourner dans sa tombe Montesquieu : on méprise les juges, on les contourne. La corruption sous toutes ses formes est un danger extrême pour la démocratie et in fine elle aggrave les problèmes de cohésion sociale, alors que celle-ci est un ferment absolument indispensable de l’unité et de la solidarité nationales ».
A. B.
(*) Public Office, Private Interests : Accountability through Income and Asset Disclosure (Postes publics, Intérêts privés : responsabilisation par la déclaration des avoirs et des revenus), disponible en anglais sur www.worldbank.org/star.
(**) On pourra lire son texte sur : http://www.laviedesidees.fr/Sanction ner-la-corruption.html.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/04/10/article.php?sid=132703&cid=8
10 avril 2012
Ammar Belhimer