Le roman El Fernia est l’histoire d’une vie peu ordinaire, car riche de péripéties et d’épreuves surmontées avec courage et sacrifice de soi.
Halima, l’héroïne, naît au tout début du siècle dernier. Elle s’éteint discrètement, entourée des siens, après l’indépendance de l’Algérie. Clin d’œil à la grande histoire… Nous sommes à N’gaous, au fin fond des Aurès. Dans ce village de la tribu des Beni-Ifrène où elle vint au monde dans des circonstances assez particulières, Halima va tisser un destin hors du commun. Un destin qu’elle tire d’elle comme l’araignée sa toile, patiemment et avec abnégation jusqu’à l’achèvement de l’ouvrage. Comme la tapisserie de Pénélope dans la mythologie. Sauf que, au bout de cette entreprise ardue et interminable qui aura duré une soixantaine d’années, Halima conquiert une liberté irréversible. Juste avant cet épilogue, les Algériens avaient gagné la guerre. Notre héroïne était évidemment sur le terrain du combat libérateur. Ce deuxième roman de Djamel Eddine Selhab, on l’aura compris, se décline comme un vibrant hommage rendu à toutes ces femmes qui, le plus souvent agissant dans l’ombre (des hommes), ont participé grandement à la résistance et à la lutte du peuple algérien. Un témoignage d’amour et de reconnaissance, par lequel l’auteur veut rendre justice à ces oubliées de l’histoire, toutes ces «anonymes » dont on ne parle jamais (ou si peu). Voilà donc un récit qui vient humblement réparer une injustice, voire réhabiliter d’une certaine façon la place de la femme dans l’histoire de l’Algérie contemporaine. Pour ce faire, l’auteur a opté à dessein pour l’épopée, n’hésitant pas à user d’un style d’écriture aux accents parfois chevaleresques pour magnifier son récit et mieux faire écouter son chant d’amour. El Fernia se lit alors comme un conte des temps modernes, mais naturellement inspiré de nos traditions orales et des légendes populaires. Halima ? «C’est un «homme», disaient d’elle les villageois. Elle l’était dans le sens le plus noble du terme.» Précision de taille pour mieux souligner, tout au long du récit, le rôle de la «guerrière», mais aussi celui de la mère, de l’épouse et de la gardienne des valeurs. Autour de ce personnage central gravite toute une galerie de portraits. Ce sont surtout les membres de la saga familiale et qui vont composer cette fresque de plus de cinquante ans d’histoire. Djamel Eddine Selhab commence par planter le décor dans le chapitre premier. A Ngaous, le cycle des saisons se déroule invariablement, chaque jour apportant son lot de souffrances et de privations pour les villageois. L’impitoyable système colonial génère spoliations, famine, misère, déni de l’autre, humiliations, répression… Ici, l’hiver est rude, les récoltes sont maigres et l’indigence règne («seuls les plus forts survivaient à la loi implacable de la sélection naturelle»). C’est dans ce contexte socioéconomique désastreux que Halima vint au monde. En grandissant, elle se sentait différente des autres filles, voulait déjà ressembler à la reine berbère Fatma Tazoughert tant chantée par la légende. A l’adolescence, durant la Grande Guerre, lorsqu’éclata la révolte de Ouled Soltane, férocement réprimée, elle sut que l’ennemi était cruel. Entre-temps, Allaoua le jeune et fier Chaoui fait son apprentissage de la vie (Alger, l’exil en France puis le retour au pays). Les deux jeunes gens se marient, ils auront une nombreuse progéniture… Dès lors, l’histoire s’accélère et tous ces destins croisés de la saga familiale vont faire corps avec l’évolution du mouvement national depuis les années trente et jusqu’au déclenchement de la lutte armée, en passant par les massacres du 8 mai 1945. «A force de tirer sur la corde, les colons avaient fini par la casser», relève l’auteur. Désormais, rien ne serait plus comme avant. Parmi les enfants de Halima, certains ont pris le maquis, ont rejoint l’ALN. D’autres militent à leur façon. Quant à notre héroïne, devenue veuve, «la responsabilité allait la transformer (…). Elle vivait dans une société machiste où la femme n’était qu’un objet de peu de valeur. Elle allait montrer à tout le monde de quoi elle était capable». Et c’est ainsi qu’elle s’engage totalement pour la cause algérienne, soignant les blessés tout en continuant à accoucher les femmes, à s’occuper des malades. A la Libération, on lui apprend que deux de ses fils sont morts au champs d’honneur. Pendant ce temps, les combattants de la vingt-cinquième heure font leur parade. «Elle comprit alors que tous les idéaux qui faisaient la force de la révolution algérienne étaient en train d’être confisqués par des opportunistes à des fins personnelles. » Malgré tout, c’est avec le sentiment du devoir accompli que Halima (dite Nanna) put finalement réunir ses enfants autour d’elle pour le dernier adieu… Djamel Eddine Selhab, docteur en médecine, est né à El Biar, Alger, en 1953. Il a déjà édité un premier roman, Aïcha, en 2010. La lecture de ce deuxième livre est particulièrement recommandée à tous ceux qui aiment les histoires narratives où la réalité est embellie par la fiction, mais sans la dénaturer. Une lecture agréable et instructive qui révèle un écrivain de talent.
Hocine T.
Djamel Eddine Selhab, El Fernia, éditions Galaxie 2012, 148 pag
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/04/11/article.php?sid=132754&cid=16
11 avril 2012
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