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- Publié le Vendredi, 13 Avril 2012 16:18
- Écrit par Didi Baracho

Par Didi Baracho
J’avais un rendez-vous ce matin. Savez-vous avec qui ? Vous n’allez jamais me croire, je devais voir la cheikha Fatima Ismaïl, l’épouse du cheikh Abdallah Djaballah, le salafiste agréé par le DRS et les des généraux M. dit T. et T. dit B.
De bon matin, et comme je suis en deuil en raison de la perte, avant-hier, de ma bouteille de Chivas qui s’est cassée, rappelez-vous, en mille morceaux, j’ai pris quelques verres de ballantine’s, car ce breuvage contrairement au vin, à la bière et au Whisky, ne dégage aucune odeur qui pourrait trahir les consommateurs clandestins de produits éthyliques.
Je ne voulais surtout pas prendre le risque de choquer les Indigènes qui respectent cette journée au cours de laquelle ils se refont une virginité. Encore moins, une femme djellabisée, épouse de surcroît d’un salafiste labellisé par les services de l’État.
Ainsi, nous avions rendez-vous à 9 heures dans un prestigieux hôtel algérois. Je voulais demander à cheikha Fatima, épouse du cheikh Abdallah, comment lui est venue l’idée de se lancer en politique et surtout pourquoi elle refusait de montrer son visage en mettant, sur les affiches électorales, à la place de sa propre photo, celle de son beau gosse de mari.
J’avais préparé mon interview durant ces derniers jours avec mes amis H’mida Layachi, Lounès Guemache, Ali Fodhil et Anis Rahmani, les quatre journalistes que nous envient toute la presse salafiste agréée par le DRS. Les uns et les autres, de manière très confraternelle, m’ont donné quelques tuyaux et m’ont proposé des questions pièges, genre « savez-vous faire la barboucha ? Ou encore : entre votre mari et vous-même qui est plus salafiste des deux ? Ou alors : comptez-vous, vous aussi, vous faire labelliser par le pouvoir coloniale ?, voire : si vous gagnez un siège à l’Assemblée, permettriez-vous à votre mari de poursuivre sa carrière ou devrait-il devenir cheikh au foyer pour s’occuper de l’endoctrinement des enfants ?, etc. »
Après avoir attendu, une dizaine de minutes, j’ai vu une silhouette longiligne s’approcher de moi, elle portait une djellaba, avait une calotte d’Indigènes pratiquants et une barbe assez fournie. Au départ j’ai eu peur, je croyais que c’était cheikha Fatima, épouse du cheikh Abdallah. Mais alors que la silhouette n’était plus qu’à un mètre de moi, je m’aperçus en fait qu’il s’agissait du cheikh Abdallah, l’époux de cheikha Fatima Ismaïl.
Après m’avoir salué et après tous les salam alikoum d’usage et autre hamdoulillah, barakallahoufikoum et aslim teslim, le salafiste agréé par le DRS me lança : « on peut commencer l’interview, je suis pressé ». Il ne semblait pas être très à l’aise, il avait l’air tristounet et ne cessait de toucher sa barbiche. Je lui ai rappelé que j’avais rendez-vous non pas avec lui, mais plutôt avec sa cheikha d’épouse, mais il me fit savoir que sa femme ne se montrait jamais aux hommes. C’est la raison pour laquelle, il avait pris sa place y compris sur les affiches de campagne.
Il m’expliqua qu’ils ont toujours fonctionné ainsi et que même lorsqu’elle avait un amant, lors de leurs premières années de mariage, c’était lui qui partait à sa place pour le rencontrer discrètement. Je lui ai dit : « Mais cheikh, ce n’est pas possible ! ». Il me répondit : « quand on a la foi tout est possible », me précisant que si elle gagnait aux législatives, il irait siéger à sa place à l’Assemblée. J’ai insisté essayant de trouver la faille dans ce dispositif salafiste assez particulier, mais Abdallah Djaballah s’est finalement exaspéré et m’a lancé « Lorsque ce sont les occidentaux qui cachent leur femme, vous ne dites rien, mais lorsque ce sont des musulmans pieux comme nous, vous nous cherchez des poux dans la barbichette », avant de conclure « La hawla oua la kouata illa bilah ! ».
Ne voulant pas me laissez faire, avant de conclure l’entretien, je lui ai donc lancé : « Excusez-moi, mais les Occidentaux ne cachent pas leur épouse ! ». Et là, sur un ton ironique, le salafiste rétorqua : « Pourquoi vous avez déjà vu la femme du lieutenant Colombo? Il nous a montré son chien, mais jamais son épouse ».
Là, le cheïkh Abdallah, époux de la cheikha Fatima avait raison. Il avait visé dans le mille, sorti l’argument massue. Il est vrai que les Américains ont toujours encouragé le salafisme. Mais ça, c’est une autre histoire. Alors, malgré tout, vive les Indigènes !
14 avril 2012 à 10:57
j’ai toujours autant de plaisir à vous lire, bravo pour ce ton sérieux et décalé, les dessins sont excellents également.