Notre camion est coincé entre deux petites voitures mal garées, juste devant la pompe d’essence, à une vingtaine de mètres du petit carrefour situé un peu plus bas de la piscine El- Kettani, où prend fin le boulevard front-de-mer Abderrahmane-Mira.
Piscine, d’ailleurs, qui me rappelle l’un de mes plus beaux souvenirs durant l’été de l’année 1957 : Mon cousin Mohamed du nom de famille Mokrane, qui avait devancé l’appel au service militaire de quelques mois en tant qu’appelé dans l’armée coloniale française, n’avait pas encore dix-huit ans et avait bien des raisons de le faire. Après son incorporation, il était affecté, je me rappelle, à la caserne 421 du Clos-Salenbier (El- Madania aujourd’hui) qui servait, aussi, de S.A.S à la propagande coloniale, d’où il devait déserter, quelque temps plus tard, avec d’autres soldats algériens pour regagner le maquis FLN avec armes et bagages. Cette action audacieuse de soldats algériens enrôlés sous le drapeau de la France coloniale devait bien porter un grand coup à la propagande de l’action de pacification des indigènes de la contrée Algérie française, comme aimait à les désigner et se vanter l’administration coloniale. Et les journaux de l’époque ont tout fait pour minimiser ce fait hors du commun. Une fois, mon cousin Mohamed, qui était en permission et habillé en tenue militaire de sortie, se présenta le matin de bonheur chez nous et me demanda si ça me dirait d’aller à la piscine… Tout excité par la nouvelle, je demandai la permission à ma mère ; celle-ci accepta avec gaîté de cœur et bien contente de me voir aller pour la première fois à la piscine. J’avais à l’époque huit ans. Toute heureuse pour moi, elle prit le soin de m’aider à mettre d’autres vêtements plus propres pour la circonstance. Mais elle avait oublié, dans la précipitation, de me glisser un maillot de bain dans le petit sac en toile de couleur grise. Arrivé à la piscine où il y avait foule, évidemment que des pieds-noirs et leurs enfants. En tant que militaire, mon cousin ne devait payer qu’une demi-place pour l’entrée à la piscine. Le proposé à la caisse lui remit un élastique sous forme de bracelet avec un numéro de la cabine, dont je ne savais pas l’utilité, mais que Mohamed s’empressa de me mettre au poignet. Une fois dans la cabine, mon cousin me dit de me changer, je fouille dans le petit sac en toile, maman avait oublié de me fourrer dedans un petit casse-croûte maison, mais point de short pour le bain : elle avait tout simplement oublié. Je sors la tête par la porte bleue, entrouverte, de la cabine pour dire à Mohamed que je ne retrouve pas le short pour le bain, ce dernier me dit : «Ce n’est pas important, tu laisses ton slip, tu peux aussi bien nager avec.» J’ai rappliqué, illico presto, et comme il faut, d’abord, passer par le jet d’eau de rinçage pour avoir accès à la piscine, le surveillant de la baignade me voyant avec mon slip m’interpella pour me dire que je ne pourrais pas aller à la piscine ainsi et qu’il me fallait un maillot de bain ! Mohamed, qui était tout près, le toisa d’un regard méchant et lui dit textuellement : «Aujourd’hui, ce mioche indigène a tout à fait le plein droit et ce, ici dans son pays, d’aller prendre son bain en toute liberté et je suis là, expressément, pour que cela soit fait sans condition aucune. » Cette histoire se passe tout juste quelques jours avant que mon cousin désertât et regagnât le maquis en compagnie de quelques-uns de ses camarades militaires algériens de la caserne 421 du Clos-Salenbier avec armes et bagages. Effectivement, ce jour-là et pour la première fois de ma vie, je venais de nager dans une vraie piscine. D’habitude, tous mes petits camarades de quartier allaient, en cachette de leurs parents, nager dans des bassins conçus pour l’irrigation des champs dans les environs de Birkhadem et Khreissia, distants de quelques kilomètres de là. Cette drôle d’histoire qui s’est déroulée à la piscine El-Kettani à Bab-El-Oued, sans que j’en saisisse le vrai sens à l’époque, m’a été racontée, quelque temps plus tard, par ma grande sœur à laquelle mon cousin Mohamed avait fait part.
Rosier Belda
Note de Maâmar FARAH : pouvons-nous dire aujourd’hui : «ce mioche, enfant du peuple, a tout à fait le plein droit et ce, ici dans son pays, d’aller prendre son bain en toute liberté à la plage du Club-des-Pins» ?
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/05/02/article.php?sid=133585&cid=49
3 mai 2012
Non classé