Le rêve est-il raisonnable?
Par Kaddour M’HAMSADJI

À quoi servent les rêves? A-t-on jamais réussi à se convaincre tout à fait de leurs valeurs les plus constantes ou répétitives qui semblent formées par le psychisme et pour lui-même?
Il n’est pas de ma compétence de disserter sur le rêve. Mais que de questions chacun de nous se pose sur la «réalité» du rêve! Qui n’a-t-il pas tenté d’interpréter son rêve, de lui trouver une signification et ne s’est-il pas perdu dans des explications compliquées et inabouties? Cependant, nous savons, d’après les fondateurs de la psychanalyse (notamment Sigmund Freud) et les spécialistes du domaine, que les rêves sont en relation étroite avec les actes et les pensées de l’homme et que tout ce que nous croyons voir (et qui ne l’a constaté?) est souvent décousu, extravagant et n’a pas de réalité extérieure. Les études sur le rêve, sa place dans les sociétés humaines et son interprétation, remontent loin dans l’histoire. Dans les religions monothéistes, il occupe beaucoup l’esprit du croyant. À ce sujet, il n’est pas inintéressant de consulter le Dictionnaire de l’interprétation des rêves selon l’Islam (*) de Mohand Akli Haddadou, docteur d’État en linguistique berbère, chercheur en histoire des civilisations et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Islâm, notamment Le Rêve et son interprétation dans l’Islam, ENAG, Alger, 1991, 201 p. et Le Coran et les grandes énigmes de l’univers, Iqrashop, 2003…
Cela dit, les rêves seraient-ils des «aventures de conscience» reproduites à travers un filtre paradoxal propre à la mémoire personnelle en des moments de sommeil? Tout avenir de vie humaine serait-il ainsi annoncé, reconstruit dans une vision éclairante d’un reste de pensée vécue, inachevée ou préalablement imaginée? Sans doute, ces questions sont-elles quelque peu naïves, mais le fait est là, si j’ose dire «le fait psychologique» vécu par le commun. Et y croire – et même ne pas y croire – ces rêves ne seraient-ils pas schizophrénisants comme disent les spécialistes? De toute façon, les rêves existent… puisque justement parfois, ils se réalisent et parfois non et, de plus, ils font souvent tomber dans une extase mystique! Mais ne faut-il pas aller plus loin jusqu’à une transcendance que confortent la Morale et la Religion et, généralement bien plus, toute culture? Phénomène absurde ou magique, expression des désirs de l’être ou non, «révélateur d’avenir» ou non, résonnance de messages symboliques ou non, le rêve «exige» à tout le moins interprétation. Les «disciplines psychologiques modernes» accordent de l’importance aux rêves et les relient intimement au sujet et à sa conscience éveillée. Parmi les systèmes des croyances judéo-chrétiennes, l’islâm considère aussi les rêves comme des messages de l’Au-delà, spécifiquement de «la Vie Dernière», et des techniques rituelles ont été conçues pour les interpréter.
Le rêve est-il raisonnable? Si oui, la raison relèverait d’une philosophie périmée par le temps qui court… Quoi qu’il en soit, le travail de Mohand Akli Haddadou mérite attention par ses nombreuses approches des questions de la vie sociale actuelle. Il réactualise le sens du rêve en s’appuyant sur des exemples très concrets de la vie quotidienne. Ses réflexions personnelles se sont formées aux sources de la Loi (ouçoûl el-fiqh) de l’Islâm (le Coran et la Sounna) et se sont élargies par une culture importante confirmée par les notes en bas de page et les références bibliographiques citées. Et plus spécialement, lire l’«introduction» à son ouvrage, est un émerveillement d’information, d’analyse, de commentaire et d’explication. D’emblée, il clarifie le projet: «En rapportant le récit de l’interprétation des rêves de Pharaon par Joseph (chapitre 12, verset 36 et ss.), le Coran légitime l’oniromancie qui va occuper une place importante dans la culture des peuples musulmans.» Avec une pédagogie d’une grande qualité, Mohand Akli Haddadou rappelle l’intérêt du Prophète (QSSSL) porté au rêve et il en donne les conditions qualitatives. Il définit certaines notions: «ru’yâ», «hulm»,… Il présente à grands traits le rêve dans la société musulmane classique, la théorie du rêve, les principes d’interprétation qui sont autant nombreux que variés. Dans un long «appendice», il offre au lecteur sa traduction de l’introduction au Grand Livre de l’Interprétation des rêves attribué à Ibn Sîrîn. (La tradition islamique considère l’imâm Mohammed Ibn Sîrîn (654-731) comme spécialiste dans le domaine de l’interprétation des rêves. De ses analyses, il ressort qu’«il existe trois sortes de rêves en Islâm: Le rêve véridique (er-rahmânî), le rêve représentant un désir personnel (en-nafsânî) et le rêve provenant du diable (ech-chaytânî).»)
Après cet appendice, suit à proprement parler le dictionnaire de l’interprétation des rêves de Mohand Akli Haddadou. Les mots directeurs fréquents dans les rêves sont classés, évidemment, par ordre alphabétique. Et pour mieux faire apprécier au lecteur le souci de son effort de recherche pour trouver, en usant du «qiyyâs ou analogie», la convenable interprétation des visions révélées par la vie moderne, l’auteur avertit: «Ce dictionnaire s’inspire largement des interprétations des auteurs musulmans, notamment les plus connus, al Nabulsî et surtout Ibn Sîrîn. Nous avons aussi tenu compte des ouvrages d’histoire, des recueils de hadiths, de différentes chroniques, notamment quand il s’agit de rapporter des rêves célèbres. Mais si ces sources nous ont permis d’interpréter les symboles traditionnels, il manque tous les objets et toutes les préoccupations de la vie moderne. Comment interpréter des objets comme le téléphone, l’ordinateur, l’avion ou l’automobile?…» Je dois dire que la tentative de Mohand Akli Haddadou n’est pas insensée. L’oniromancie musulmane a un bel avenir. Voyez aux mots «football», «cinéma», «ordinateur portable», «mandat», «poésie», «livre», «peluche»,… De toute façon, le rêve reste néanmoins une énigme privée et entière, car après toutes les interprétations possibles, il n’est de bonne que la nôtre propre que nous validons tout au fond de nous-mêmes.
(*) Dictionnaire de l’interprétation des rêves selon l’Islam de Mohand Akli Haddadou, Casbah-Éditions, Alger, 2011, 382 pages.
4 mai 2012
Kaddour M'Hamsadji, LITTERATURE