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ET CAÏN TUA ABEL, ROMAN DE ABDERRAHMANE YEFSAH Une mise en récit de la décennie rouge

5 mai 2012

LITTERATURE

Culture :

Et Caïn tua Abel est un roman dans lequel son auteur, Abderrahmane Yefsah, tente de mettre en récit les turbulences socio-historiques des années 1990. Le livre, qui recèle tous les ingrédients d’une autofiction, à se fier, du moins, au «je» du narrateur et à d’autres éléments constitutifs de la narration, nous projette quelques années en arrière, dans une époque qui n’est pas si loin, une tragédie dont nous ressentons jusqu’à présent encore les symptômes post-traumatiques d’une violence sans égal. 
«Entre deux rafales de vent, ma compagne, comme sortant d’une profonde léthargie, finit par me demander : – Devrions-nous avoir peur des forces de la nature, de Dieu ou de la méchanceté des hommes ? – Il faut respecter Dieu et se préserver de la méchanceté des hommes, répondis-je sans me retourner, le regard plongé inlassablement dans les eaux en effervescence de la rivière, comme pour y déchiffrer ou découvrir quelque chose de caché ou une réponse plus appropriée à nos interrogations. Dieu a donné la vie et l’homme engendra la mort.» A la lecture de cet extrait puisé au détour d’une page du troisième chapitre du roman, on est frappé par ce genre d’interrogation existentielle, une sorte d’incantation inclinant à un messianisme quasi biblique, d’où sans doute le choix du titre qui réfère au mythe du crime original. Le passage illustre, en filigrane, un récit dont le propos est à appréhender comme une manière de tracer une ligne de partage entre deux univers, deux visions du monde qui s’affrontent. Désormais, le monde de tolérance, de liberté, de beauté et d’insouciance, celui sublimé par ce livre et dans lequel évoluent le narrateur et sa compagne va connaître un basculement dans le désordre et le chaos. Une réalité entre chiens et loups racontée par ce récit à la première personne qui a tout l’air d’une autofiction. C’est ce que suggèrent, en tout cas, le «je» du narrateur, les innombrables références factuelles, les attitudes et les points de vue, des indications textuelles qui peuvent être interprétées comme une allusion à l’implication du scripteur/auteur dans des événements qui constituent la trame du roman qui nous plonge dans l’ambiance de la décennie rouge avec comme fil conducteur les tribulations de Boualem, un journaliste et sa compagne, Taos, couturière et créatrice de mode quelque peu désarçonnés par les transformations qui s’opèrent devant leurs yeux. Mais, face à cette réalité façonnée par une violence implacable, le narrateur et sa compagne refusent de faire place nette au renoncement, à la résignation, dénonçant les exactions, les assassinats et, surtout, une idéologie puritaine et rigoriste que ses tenants veulent imposer à la société par la peur et la violence. Une dénonciation active puisque Boualem, le journaliste et Taos, férue d’art et de mode et, sans changer d’un iota leur façon de vivre et de se comporter, s’adonnant aux promenades, aux virées champêtres, en un mot, aux plaisirs de la vie, multipliant les moments de félicité que procure l’amour comme pour se réfugier contre les menaces ambiantes, s’engagent et s’impliquent, à leur façon, dans l’organisation de la résistance. Ils le font à côté d’autres acteurs, à l’image de Meziane, le syndicaliste, devenu chef d’un groupe de patriotes, pour défendre les espaces de liberté menacés par nouvel ordre moral conquérant. Rouvrir «le dictionnaire de l’horreur », raconter, rafraîchir les mémoires sur des événements sanglants, les exactions des groupes terroristes du FIS, voilà ce que véhicule ce livre dont le mérite est de constituer un témoignage romancé sur ces années de feu et de grande intolérance. Seulement, le tout ne se fait pas sans accroc. Beaucoup de temps mort, d’inertie, un luxe de détails, des descriptions à rallonges… font que l’intrigue n’arrive pas à décoller. On a l’impression de bien tout comprendre, mais il manque un je ne sais quoi qui perturbe l’harmonie de la trame et empêche la narration d’atteindre son crescendo. Et puis, il y a ce titre un peu «gonflé», quelque peu désincarné, presque hors de propos. Rien ne vient corroborer nos intuitions quant à la compréhension du sens telle que suggéré par le titre qui fait référence au mythe biblique du crime original (le fratricide de Caïn sur Abel) mis en évidence sur la page de couverture, sinon cette référence à un autre personnage ajouté dans l’alternance des chapitres. Un protagoniste, Badredine, évoqué de façon subsidiaire et sans avoir toute l’épaisseur qu’il devait avoir mais qui s’avérera être, finalement, une clé dans la compréhension de ce qui est suggéré par le titre de roman, le premier écrit par Abderrahmane Yefsah. Une fiction qui est, certes, bien écrite, avec des pages et des tableaux narratifs non dénués d’émotion. Bref, ce premier roman de Abderahamane Yefsah a de quoi séduire, même s’il dégage un regrettable arrière-goût d’inachevé. Il reste, qu’aux yeux du lecteur attentif, le discours de ce roman constitue une belle allégorie sur l’amour, la liberté, la tolérance.
S. Aït-Mébarek
Et Caïn tua Abel, roman de Abderrahmane Yefsah, Editions Al Amal, avril 2012

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/05/05/article.php?sid=133716&cid=16

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À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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