C’est vous dire qu’en Algérie, il n’y a pas d’islamistes, de nationalistes, de conservateurs ou même parfois de démocrates. Il y a des gens qui sont « dans le système », d’autres qui sont dehors. Pas toujours, mais souvent. Ce n’est pas vrai mais quand on regarde le comportement de Amar Ghoul et ses explications, on comprend mieux le pessimisme politique des Algériens : Ghoul a mis sous le goudron l’histoire du MSP et a affiché une sorte d’ingratitude calme et sereine qui laisse pantois. C’est ainsi, pensent les Algériens, en conjuguant leur soupir unique qui dure depuis 50 ans. Amar a trahi Boujerra, qui a trahi Nahnah, qui s’est retourné contre le FIS, lequel s’est retourné contre les Algériens, etc.
C’est que Amar Ghoul n’est pas seul et unique, avec ou sans barbe. Un autre exemple cité par beaucoup : les députés FNA. Anonymes, pauvres orphelins, sans rente ni burnous, ils sont donc montés sur le dos de Moussa Touati du FNA. Que feront-ils une fois arrivés à la mangeoire ? Se déclarer indépendants du FNA, de Moussa Touati, de leurs villages, de tous les Algériens si c’était possible. Un geste grandiose par sa petitesse, qui pousse les Algériens à étendre les hectares de leur pessimisme et leurs mauvaises herbes. Sans souci d’image, sans sens de la dignité, sans peur ni recul, sans rougeur aux joues ni sentiment de honte : je prends le parti, je monte sur son dos puis je luis crache au visage à la gare d’arrivée et j’enlace le portrait de Bouteflika et les pieds de Belkhadem et la veste d’Ouyahia. Amar Ghoul n’est plus un islamiste du MSP depuis longtemps. Depuis toujours peut-être, si on analyse les ADN. Les ex-députés du FNA aussi. Dès qu’un homme goûte au pétrole gratuit, il peut vendre Nahnah et sa mère et Moussa Touati.
Cela, les Algériens le savent d’instinct. Voici dix députés d’un parti qui demandent aux Algériens de leur faire confiance, alors que leur premier geste après le repas a été de renier leur parti. Voici un ministre à qui on donne le plus gros budget de route depuis l’indépendance et qui ne respecte même pas l’âne qui l’a mené de l’anonymat au ministère. Et c’est la même biographie de veste pour les autres au FLN, RND parfois et autres petits partis et bureau politique. D’ailleurs, l’une des curieuses promesses des candidats il y a moins d’un mois a été celle de «je ne changerai pas mon numéro de téléphone !». C’est dire la profondeur du traumatisme chez les Algériens.
Conclusion : peut-on faire confiance ? Oui, à soi-même. Tout au plus à ses chaussures. Mais il ne faut pas les laisser seules à l’entrée de la mosquée. Même dans la maison de Dieu on se fait voler.
31 mai 2012
Kamel Daoud