La dernière sortie de Ouyahia a ce fascinant côté psychanalytique que l’on n’a pas encore analysé : un bon concentré des réflexes du pouvoir : théorie du complot, paranoïa, explication par la bonne foi contre la mauvaise foi occulte. La maladie de la clandestinité et de l’ennemi invisible vient bien sûr de la guerre, du maquis et de la bleuite. Elle se perpétue donc : il y a un ennemi, quelque part. En France, selon l’ONM, au port des conteneurs selon Ouyahia, au Maroc, au Mali, en Kabylie, dans vos têtes et derrière les crises de la pomme de terre. Tous parlent de complot et la dernière campagne électorale a été bâtie sur cette alerte nationale contre le monde international. Sauf que si c’est vrai, c’est en même temps faux. Quand tout le monde accuse tout le monde, dans une pièce fermée, mal aérée, cela s’appelle une névrose. Et la névrose est confortable. On comprend pourquoi même un Premier ministre qui fait partie du système accuse le système et indique du doigt ce fameux «personne».
«Je dérange» a dit Ouyahia. C’est la version soft de «il y a complot». Enfant de l’indépendance, le chroniqueur a entendu cette théorie du complot interne et externe depuis son enfance. On peut le comprendre quand on fait la guerre, mais en temps de paix, cela devient de la maladie ou de la facilité. Fatigué donc.
Fatigué d’entendre les responsables de ce pays parler de complot, de théories, d’ennemis internes et se déculpabiliser en invoquant l’invisible. Quand on est responsable dans ce pays, désigné par le haut, subi par le bas, on assume : on donne son nom, et le nom de ces «personnes». Le pays n’est pas une affaire de rumeurs de couloirs, mais l’affaire sérieuse de millions de gens : des ennemis ? Qu’on les nomme. Des complots ? Qu’on nous l’explique. Des impuissances et des échecs ? Que l’on démissionne. Les ventres des Algériennes peuvent accoucher de mieux. Des ennemis et des adversaires ? Des actes et des noms, pas des gémissements. Qu’on arrête de nous infantiliser. Le pays mérite mieux que des récits d’ogresses.
4 juin 2012
Kamel Daoud