Donc, au-delà, c’est à la plage, sur le sable, entre la mer et le soleil, que le corps de l’Algérien est au plus mal, méfiant, animal dans son soupçon, sali par des tas d’idées mortes et violentes. Nus, les Algériens sont plus agressifs que lorsqu’ils sont armés. Entre le parasol et l’infini, le corps de l’Algérien est dans le malaise : il ne sait pas nager en se dénouant, ni comment s’habiller ou se dénuder ou s’approcher l’un de l’autre sans se soumettre ou se dominer. Flotter ou se faire pardonner. Les vivants y ont presque honte devant les martyrs qui ont réussi à se débarrasser de leurs corps justement. Dans le pays de la mort comme valeur, le corps est un cabas sans importance, sur une route sans buts ni sensualité.
Donc, dans l’eau, les Algériens, des Algériens ont ce mouvement impossible qu’ont les dessins quand ils nagent dans un mur. A côté, les dessins rupestres du Sahara semblent des champions de l’aisance et des talentueuses légèretés. Ensuite, la plage est traitée elle-même comme le corps : bétonnée, volée, violée, salie, piétinée, privatisée. La plage algérienne est le corps nu de l’Algérien, vu de l’intérieur. Dans les vieilles métaphysiques, le corps habille l’âme. Ici, dans le pays, l’âme est ce qui salit le corps et l’empêche d’être nu, beau et léger et admirable. Il suffit de se promener dans une plage algérienne pour voir ce qui se passe dans les têtes.
24 juin 2012
Kamel Daoud