Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Avant même que la République officielle ne s’invite à la célébration d’un lointain 5 Juillet fondateur, un dernier carré de fidèles avait tenu, ce vendredi 29 juin, à commémorer les 20 années de la disparition de Boudiaf.
Celui qui, au plus fort de la tourmente d’une guerre civile jamais nommée en tant que telle, accepta la périlleuse responsabilité, consistant à mettre de l’ordre dans la pétaudière d’alors, était assassiné en «live» sous les objectifs des caméras qui continueront à tourner. Crime majeur parce qu’il s’était commis au détriment de l’Etat, celui-là ne fut jamais clairement élucidé. A l’évidence la «raison d’Etat» demeure, à ce jour, la seule justification de la chape de plomb qui empêche la lumière de se faire sur cette mortelle conjuration. A tort ou à raison, il est coutumier, pour tous les pouvoirs politiques, de se réfugier dans le silence organisé dans de pareilles circonstances. Sauf qu’à un certain seuil de tolérance, le pays s’aperçoit qu’il y a trop de cadavres dans les placards de la République pour que celle-ci continue à se prévaloir de l’improbable éthique de la transparence. Krim, Khider, Boudiaf et d’autres moins emblématiques également victimes de l’injustifiable martyre, sont-ils condamnés à la fosse de l’oubli au nom d’on ne sait quel impératif national ? Il est certain que l’effort d’apaisement a besoin de temps et de mensonges véniels pour bien opérer. Mais la thérapie en question n’est-elle pas handicapante sur le trop long terme lorsqu’elle vise à une sorte de lobotomie mémorielle ? Car il importe peu que les prescriptions de la «raison d’Etat» soient codifiées en décennies avant la levée sur ses secrets. Il y a mieux à faire dans le domaine du réarmement moral de la Nation que ce scrupule censitaire. Un demi-siècle d’histoire nationale ne mérite-t-il pas une grande lessive du passé afin de raccorder les fils cassés de la mémoire commune ? Briser les tabous du secret sur les sujets douloureux en ouvrant, aux enquêteurs de l’histoire, les coffres où sommeillent ces archives peu ragoûtants ne serait, certainement pas, sans risque, peuvent-ils nous rétorquer, mais pour qui ? Devraient-ils préciser de surcroît. Hélas tout est contenu dans cette crainte non avouée. En effet, l’on peut déduire qu’ils se sentent visés dès lors que le renouvellement générationnel des élites dirigeantes n’a pas eu lieu après 50 années d’indépendance. Ainsi, ceux qui dans quelques jours présideront aux festivités n’étaient-ils pas aux manettes, du grand complot de l’été 1962 ? Certes, la plupart d’entre eux n’étaient pas au centre de la décision au moment où les opérations de purge politique devinrent systématiques. Néanmoins, ils ne firent rien ou du moins peu de choses pour atténuer l’escalade qui passa de la mise en résidence surveillée à l’embastillement des ex-frères de combat puis à la terrible traque liquidatrice. A partir de ce rappel concernant le noyau dur de l’actuel régime, l’on comprend mieux pourquoi on éprouve des difficultés à affranchir volontairement l’examen de notre récente histoire. Dès l’instant où le concept de «raison d’Etat» prend un sens autre que ce qu’il signifie ailleurs il s’avère délicat d’exiger une positive «table rase» publique. Car à juste titre, le «secret d’Etat» rime pour nos dirigeants avec «secret du Régime» dont ils sont issus. Et de tous les gisants qui de nos jours donnant de la migraine au système, celui de Boudiaf est sûrement le plus encombrant. N’ayant jamais été du même bord que ceux qui n’entamèrent leurs ascensions qu’au lendemain de l’indépendance, il leur est vite apparu que son retour, en janvier 1992, était une erreur de casting. C’est-à-dire un péril pour l’esprit du système patiemment mis en place en trente années. D’ailleurs, les politologues rompus aux classifications ne s’étaient-ils pas accordés pour mettre l’homme de «Kenitra» dans la case des «leaders de la rupture» ? Bien que commodes, ces qualificatifs avaient l’inconvénient de ne le cerner qu’à travers le désaccord permanent avec le pouvoir en place. Une sorte d’opposant frustré, ce qui était tout à fait inexact et réducteur. A travers sa trajectoire, il était bien plus qu’un conquérant de magistères. Connu et respecté pour son entêtement de démocrate, n’a-t-il pas cultivé avec une constance jamais prise en défaut ce que lui-même qualifiait avec humour de «tyrannie de la liberté » ? Celle qui ne cède jamais lorsque le devoir de contredire s’impose. Peu enclin aux arrangements entre fiefs politiques, il fut certainement le personnage du mouvement national le moins compromis mais aussi le plus solitaire. Une solitude qu’effraya certainement le 1er collège des notables de l’indépendance qui le lui firent, évidemment, payer. C’est par conséquent ce cadavre de trop dans les placards de la République qui oblitèrera pour longtemps encore le devoir de vérité dans ce pays.
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/06/30/article.php?sid=136127&cid=8
1 juillet 2012
Boubakeur Hamidechi