Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
L’ex-Premier ministre libyen, Baghdadi Al- Mahmoudi, 70 ans, détenu depuis fin septembre en Tunisie, a été extradé en catimini vers la Libye dimanche dernier, pays où il risque la peine de mort. La mesure a été prise par le gouvernement tunisien dirigé par l’islamiste Hamadi Jabali contre l’avis du président Moncef Marzouki qui avait refusé de signer le décret d’extradition. Dans un communiqué, la présidence tunisienne a dénoncé une «décision illégale», prise de façon «unilatérale et sans concertation».
Elle a accusé le chef du gouvernement tunisien d’être «sorti de ses prérogatives» et de «ternir l’image de la Tunisie». Le chef de l’Etat tunisien, qui s’était opposé à cette extradition, réclamait auprès des autorités libyennes, des garanties sur le respect des droits de l’Homme et un procès équitable pour Al-Mahmoudi. Des ONG tunisiennes de défense des droits de l’Homme ont également dénoncé l’extradition de l’ex-Premier ministre de Mouamar Kadhafi. Et pour l’avocat de l’ancien Premier ministre libyen, il s’agit d’un «rapt». Dans cette affaire, la solidarité entre islamistes tunisiens et libyens a prévalu sur le respect du droit international et des droits humains, et ce, quel que soit le crime dont est accusé l’ex-Premier ministre libyen. En effet, dans une Libye où l’Etat est en pleine reconstruction, et où l’autorité politique peine à s’imposer du fait de la multiplicité des centres de décision et de la présence de milices échappant à tout contrôle, la justice est loin de répondre aux normes internationales. Il ne peut donc y avoir un procès équitable. De plus, dès son arrivée en Libye, Baghdadi Al- Mahmoudi a été hospitalisé pour une hémorragie suite à des violences. Selon le site français Médiapart, celles-ci auraient été exercées durant un interrogatoire particulièrement musclé par le gouverneur militaire de Tripoli, l’ex-membre d’Al-Qaïda, Abdelhakim Belhadj. Ce cas n’a rien de surprenant en soi : il suffit de se remémorer ces images insoutenables ayant fait le tour de la planète sur la fin de Kadhafi. Amnesty International et Human Right Watchs avaient déjà alerté sur l’existence d’exécutions sommaires de centaines (ou plus) d’agents ou de personnes proches de l’ancien régime, et ce, après qu’ils avaient subi de terribles sévices. Terminons pour signaler que l’extradition de l’ex- Premier ministre libyen fera au moins un heureux, l’ex-chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy. Car Baghdadi Al- Mahmoudi était prêt à témoigner sur le financement de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007 par le régime de Kadhafi. Et comme ce sont les «amis libyens» de l’ex-président de la République française qui sont aux manettes en Libye… Cette extradition, qui a déclenché une crise sans précédent entre le gouvernement de Hamadi Jebali et le président Moncef Marzouki – ce dernier s’étant senti humilié — est révélatrice du malaise institutionnel régnant au sommet de l’Etat. En vertu d’une loi adoptée par l’Assemblée constituante en décembre 2011, faisant fonction de «petite constitution», le Premier ministre dispose d’autant sinon plus d’attributions et de prérogatives que le chef de l’Etat. Ennahdha, qui détient le pouvoir exécutif, le sait, et en joue. En soumettant cette affaire d’extradition qualifiée de «transgression de ses prérogatives» à l’Assemblée constituante «afin de prendre les décisions qui s’imposent», Moncef Marzouki vise certainement à provoquer un débat dont la finalité serait une redéfinition des prérogatives présidentielles. Pas sûr cependant qu’Ennahdha, qui domine l’Assemblée constituante, et ses alliés facilitent la tâche au chef de l’Etat. En tout cas, dans une Tunisie caractérisée par une situation tendue, avec en arrière-plan, un risque de confrontation lourd de conséquences, cette affaire d’extradition est une nouvelle preuve de la volonté d’Ennahdha de chercher à s’imposer et d’imposer sa propre vision à la société tunisienne. Les vieux réflexes islamistes et autres anathèmes politico-religieux à l’endroit de ses adversaires refont surface comme l’a si bien montré l’exposition du «Printemps des arts» dans une galerie de la Marsa, à l’origine de violentes manifestations des salafistes. Et les promesses de Ghanouchi qu’Ennahdha a changé sont du «khorti» ! Preuve encore, cette notion de «thaoubit elislam » (constantes de l’Islam) qu’Ennahdha et ses alliés veulent inclure dans le projet de préambule de la future Constitution tunisienne !
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/06/28/article.php?sid=136082&cid=8
1 juillet 2012
Hassane Zerrouky