L’ouverture de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance étant pour bientôt, alors que le mois de Ramadan approche à grands pas, on se dit qu’un comédien de la trempe de Mohamed Adjaïmi devrait avoir un agenda bien rempli. Or, la réalité ne correspond pas du tout à cette vision idyllique. Il nous en parle dans cet entretien, ne mâchant pas ses mots…
Le Soir d’Algérie : Votre dernière prestation comme acteur…
Mohamed Adjaïmi : Nous venons de boucler le tournage de Voyage sans retour, mon premier long métrage cinématographique avec le réalisateur Amar Tribèche. Le film est en phase de montage.
Peut-on en savoir plus sur ce nouveau film et le rôle que vous y interprétez ?
Il s’agit d’une œuvre de fiction à thèmes sociaux et de dimension philosophique, en ce qu’elle traite de l’être humain dans sa complexité, c’est-à-dire appréhendé avec ses forces, ses faiblesses, ses doutes… J’y interprète un rôle de composition, celui d’un imam. En dehors du théâtre radiophonique, c’est la toute première fois que je campe un tel personnage au cinéma. Dans ce film tourné à Alger et ses environs, mais aussi à Biskra et Tizi-Ouzou, participent de jeunes acteurs talentueux tel Mustapha Laribi.
Depuis de nombreuses années, vous vous êtes imposé comme un comédien incontournable dans les feuilletons ramadhanesques. Qu’en est-il cette année ?
Pour cette fois-ci, rien à signaler. Peut-être ont-ils d’autres priorités à la télévision nationale, notamment après le changement opéré à la direction générale ? Je ne suis même pas informé s’il existe de nouveaux produits qui seront diffusés à l’occasion du Ramadan prochain. En ce qui concerne mon absence au petit écran pendant le mois sacré, cela ne dépend pas de moi, bien au contraire. Aussi, je demande à mon fidèle public de me pardonner ce faux bond…
Même pas un projet dans ce sens ?
Que les téléspectateurs algériens se rassurent, il y a bien un projet de feuilleton dont le tournage est prévu à la rentrée. Il s’intitule Nour el fedjr et sera réalisé par Amar Tribèche. La principale nouveauté, c’est que ce sera la première fois qu’un feuilleton algérien comportera quarante épisodes.
Décidément, Mohamed Adjaïmi et Amar Tribèche semblent liés par un solide contrat de fidélité…
Je ne vous le fais pas dire. En tout cas, j’aime beaucoup travailler avec ce réalisateur. Pour des raisons de professionnalisme, de feeling et de connaissance mutuelle.
Il n’empêche que la récolte reste assez maigre. Comment se fait-il qu’un potentiel artistique tel que le vôtre ne soit pas exploité à sa juste valeur ?
Vous savez, la réalité est beaucoup plus complexe que cela, et le métier d’acteur baigne dans le flou artistique. Que dire par exemple de la distribution, sinon qu’elle est devenue aujourd’hui du n’importe quoi. Tous ces gens parachutés… On ne sait plus qui fait quoi, pour qui. Et tous ces producteurs exécutifs qui distribuent les rôles des comédiens selon des critères subjectifs, au gré de leur humeur, ou alors selon les affinités et d’obscurs intérêts d’argent, d’un côté. D’un autre, vous avez des responsables qui préfèrent importer des feuilletons étrangers à coups de milliards et en devises. Résultat, de nombreux réalisateurs, techniciens et comédiens se retrouvent au chômage technique. Tous ces hommes de terrain, qu’ils soient anciens ou de nouveaux talents prometteurs, sont marginalisés et condamnés à végéter.
Pourtant, la célébration du cinquantenaire de l’indépendance offre l’occasion de redémarrer la production audiovisuelle et cinématographique…
- Pour quel renouveau dans la profession et dans le secteur ? Aujourd’hui, force est de constater que les responsables en charge de la culture et de l’audiovisuel préfèrent ramener des gens d’outre-mer et les rétribuer en milliards. On leur fait appel au détriment des créateurs et artistes locaux. Voyez, par exemple, ce qui en a été avec la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique». On donne les productions à ceux qui sont partis, fuyant le terrorisme durant la décennie noire. Aujourd’hui, ce sont eux qui travaillent. Ils sont revenus, on leur permet de tourner et de produire en même temps qu’on ferme toutes les portes aux techniciens et artistes qui, eux, sont restés pour défendre le cinéma et la culture. Que dire aussi de ceux qui font des films sur la guerre de Libération nationale et qui n’ont même pas la nationalité algérienne ? Nos responsables nous chantent le même refrain : «On n’a pas d’argent.» Alors, quand je vois que pour la cérémonie d’ouverture du cinquantenaire ils prévoient un mégashow qui sera dirigé par un étranger et avec une équipe de techniciens étrangers, je me pose toujours des questions. Est-ce là la reconnaissance et l’hommage que nous méritons ?
Il y a peut-être aussi des critères subjectifs à prendre en compte en ce qui vous concerne en particulier…
Je ne fais que défendre le métier d’acteur et répondre à ceux qui, de façon hypocrite, vous collent des étiquettes. Qui disent par exemple, que Adjaïmi perçoit de trop gros cachets. Cela me fait rire. El Hamdoullah, j’ai représenté partout l’Algérie et avec des produits de haut niveau. Dans les années 1990, on sillonnait l’Algérie avec nos productions pendant que les responsables étaient barricadés dans leurs bureaux. On jouait une grande opérette, L’épopée d’Algérie, à 100% algérienne. Nous avons travaillé de toute notre âme. A la dernière représentation, je me rappelle avoir dit au directeur du centre de culture et d’information de l’époque : «Après ça, je vais m’acheter une voiture.» Il a simplement rétorqué : «Tu ne pourras même pas te payer un vélo.» Alors, les leçons de nationalisme… Aussi, je le dis et je le répète : ce cinquantenaire est le nôtre, c’est celui de notre pays, nul n’a le droit de nous en déposséder.
Avec un parcours très riche, Mohamed Adjaïmi n’a pas encore eu droit à l’hommage qu’il mérite. Pourquoi ?
Oui, on continue à m’ignorer, comme si Adjaïmi n’était pas algérien. Aujourd’hui, au ministère de la Culture, on préfère rendre hommage à des gens qui se sont distingués dans les sketchs chorba. Et puis, il y a tous ces hommages rendus selon des critères obéissant à un régionalisme étroit.A la limite, je n’ai pas besoin d’un hommage, je veux juste qu’on me laisse travailler.
Entretien réalisé par Hocine T.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/06/26/article.php?sid=135966&cid=16
2 juillet 2012
Entretien