Chronique du jour : A FONDS PERDUS
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Deux ressortissants algériens, de passage en Tunisie, ont été arrêtés à leur départ à l’aéroport international de Tunis-Carthage en possession d’une somme de 12 millions d’euros, rapportait mardi dernier le site tunisien d’information Businessnews.com.tn. Des annonces publiques, insérées dans des quotidiens de grand tirage, proposent en toute quiétude aux Algériens de profiter de la crise immobilière pour l’acquisition d’appartements en Espagne, avec visa et papiers de résidence à la clef.
Il semble que nos frontières soient une passoire, ce qui n’augure rien de bon comme perspectives économiques. «L’argent sale pollue l’économie », avertit cette semaine le Fonds monétaire international, dans une étude chiffrée de Paul Ashin, expert financier principal dans son département juridique(*). L’expression «blanchiment d’argent» viendrait des Etats- Unis, parce que l’opération passait par l’achat de blanchisseries dans lesquelles était écoulé le produit du crime. En 1928, à Chicago, Al Capone racheta à l’effet de blanchir l’argent du crime une chaîne de blanchisseries. Cette façade légale lui permettait, ainsi, de recycler les ressources tirées de ses nombreuses activités illicites. Le processus en question charrie des procédés aussi divers que la fraude, la délinquance fiscale, le délit d’initié, le trafic de drogue, la corruption et d’autres activités délictuelles lucratives. Plus précisément, la liste des activités illicites comprend les produits tirés des activités suivantes : les pots-de-vin (corruption), la contrefaçon de monnaie, le trafic de stupéfiants, l’espionnage, l’extorsion, la fraude fiscale, le meurtre, les rapts, l’escroquerie, les ventes illégales d’armes, la contrebande, le trafic d’êtres humains, la fraude informatique. On relèvera, au passage, que notre économie connaît la plupart de ces manifestations du blanchiment. Au niveau mondial, l’ampleur du phénomène est située, en termes de chiffres, suivant une évaluation du Fonds monétaire international entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars. «Le blanchiment est le processus qui permet de donner une légitimité apparente à des fonds illicites. Les gains générés par des activités criminelles telles que la fraude, le vol ou le trafic de stupéfiants sont convertis en comptes bancaires, en biens immobiliers ou en produits de luxe d’apparence légale pour avoir l’air d’être le fruit d’un labeur honnête», rappelle l’auteur de l’étude. Les activités illicites de blanchiment empruntent généralement trois grandes phases : le placement, l’empilement, l’intégration. Au moment de la phase initiale du placement (prélavage), le blanchisseur introduit ses bénéfices illégaux dans le système financier en fractionnant de fortes quantités d’espèce pour obtenir des sommes plus petites et, surtout, moins suspectes. Ils sont alors déposés directement sur un compte bancaire ou se procurant divers instruments de paiement (chèques, virement) qui sont ensuite collectés et déposés sur des comptes en d’autres lieux). Il est fait recours aux dépôts en espèces, parce que les dernières réglementations nationales sont tatillonnes sur cette question ; dans des pays comme les États-Unis, les banques sont tenues de déclarer les dépôts et les retraits de plus de 10 000 dollars. La parade à cette mesure est le fractionnement des dépôts pour que les sommes soient inférieures au plafond. «De multiples intermédiaires se chargent d’effectuer de petits dépôts dans de nombreuses banques ; les services chargés d’enquêter sur ces opérations les ont surnommées les «schtroumpfs», car l’activité frénétique de ces coursiers anonymes leur rappelait les héros éponymes du dessin animé. La seconde étape est appelée «empilement» et carrément associée au «lavage». Ici, le blanchisseur entreprend une série de transactions financières complexes destinées à éloigner les fonds de leurs sources. Par exemple, ceux qui ont de grosses sommes à blanchir créent des entreprises fictives dans des pays qui sont réputés soit pour avoir des lois strictes en matière de secret bancaire, soit pour appliquer avec laxisme celles qui régissent le blanchiment. Ce cran au-dessus dans la sophistication permet, selon le FMI, la création dans différents pays «des entreprises fictives imbriquées les unes dans les autres pour que l’on ne retrouve pas la véritable identité de celui qui possède et contrôle les actifs». La troisième et dernière phase est l’intégration. Elle culmine avec l’insertion par le blanchisseur de ses fonds dans des activités économiques légitimes ou la réalisation d’investissements commerciaux comme l’acquisition d’immeubles ou l’achat de produits de luxe. Les étapes empruntées par le blanchiment trahissent ou révèlent trois procédés : le maquillage, pour présenter l’argent sale comme un gain licite ; le déguisement, pour attribuer le gain illicite à une opération licite ; et l’amalgame, pour intégrer le gain illicite dans une activité légale. Quittant les sphères habituelles de la délinquance économique, l’étude du FMI s’attarde sur un scandale qui a défrayé la chronique en République dominicaine, où des initiés de Banco Intercontinental, la deuxième banque privée du pays, ont monté une combine sophistiquée pour siphonner les avoirs de la banque. Ils se sont eux-mêmes accordé des prêts et ont obtenu des crédits de tierces parties garantis par des fonds de Banco Intercontinental, tout en se servant d’une comptabilité parallèle pour dissimuler ces actifs non productifs. Chaque jour, durant 14 ans, un logiciel «équilibrait» les comptes de l’établissement en transférant des actifs et des passifs réels d’un système à l’autre pour que la banque «visible» ait l’air solvable. C’est ainsi que des prêts improductifs accordés à des parties liées disparaissaient des comptes officiels en même temps que des éléments de passif équivalents (il pouvait s’agir, par exemple, de certificats de dépôts à long terme choisis au hasard et dont l’absence passerait inaperçue). Le lendemain, le logiciel remettait les actifs réels dans la comptabilité et sélectionnait un autre groupe de passifs pour équilibrer les actifs douteux occultes. En 2003, quand la fraude a fini par être éventée, le sauvetage de la banque et de deux autres institutions financières qui lui étaient apparentées a coûté l’équivalent de 21% du PIB, avec en sus des coûts sociaux et économiques très lourds, avec principalement une dépréciation rapide du peso d’à peu près 65% qui a provoqué une inflation galopante et une forte érosion des revenus réels. Dans le sillage de la crise bancaire, environ 1,5 million de Dominicains (près de 16% de la population) se sont retrouvés sous le seuil de pauvreté, dont 670 000 dans une situation d’extrême pauvreté. Quoique récente, la coopération internationale dans le domaine de la lutte contre le blanchiment est efficace. L’engagement d’organisations internationales et d’institutions financières comme le FMI dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme remonte à début 2001, au lendemain des attentats du World Trade Center de New York. Depuis, des normes internationales ont été établies par le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), un organisme intergouvernemental dont le but est de définir et de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Ses recommandations portent sur un large éventail de questions, notamment la réglementation des services fournis par les institutions financières et par les sociétés et les professions non financières, les mouvements de devises transfrontaliers, la transparence des personnes morales, le droit matériel et le droit procédural, les capacités institutionnelles, l’arsenal répressif et la coopération à l’échelle nationale et internationale. Cette coopération est d’autant plus indispensable que le système financier mondial est de plus en plus interconnecté du fait de la globalisation des marchés financiers, l’accès plus facile aux capitaux, la diversification des risques accrue.
(*) Paul Ashin, L’argent sale pollue l’économie, Finances et développement, juillet 2012.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/03/article.php?sid=136272&cid=8
3 juillet 2012
Ammar Belhimer