Terrible divinité alimentaire qui ronge les Algériens, les désosse, les pousse à la folie et à la cupidité, monté sur le dos de chacun et transformé, à partir d’une origine mystique, en une rapine de base.
Et après ? La rentrée sociale, autre période de tension et d’analyse par l’apocalypse. On peut déjà lire les «unes» des journaux de cette rentrée : Changement de gouvernement, ministres ou pas, budget, 2.000 da pour chaque écolier algérien qui sera mangé, des années plus tard par Benbouzid, cette autre divinité non-grec destinée à se nourrir de l’avenir en le transformant en récitations. Et après ? L’hiver, les inondations, les fuites d’eau, le froid, le butane en pénurie, le feu de bois et la neige en Kabylie et sur El Bayadh. Et après ? Une nouvelle année pour le reste du monde et une photocopie pour nous Algériens. Rien de neuf, tout est vieilli et personne ne frappe à la porte avec de la fraîcheur dans ses valises. Un grand historien algérien a expliqué que le drame algérien est dans « le roman national » qui fait défaut : on est là mais on n’a pas d’histoire, sauf celle morte et d’autrefois, au chevet des morts et best-sellers dans les cimetières.
Les peuples vivent et se rassemblent autour d’une histoire généralement. C’est elle qui leur donne des mots et des contes, des versions et des institutions et une géographie de théorèmes. Quand le roman national manque, le désœuvrement mène à la maladie de l’esprit, à la lâcheté puis à la panique animale. C’est notre cas. Nous sommes-là mais on ne sait pas pourquoi et que faire de nous-mêmes. Comment peupler un peuple ? Il nous manque le destin, l’emploi du temps de l’emploi de la terre. Quand mourront les derniers commerçants de la guerre de Libération, il nous faudra décider : se disperser ou trouver quelque chose de vivant à raconter et à vivre. Nous en aller, chacun avec son prénom ou nous unir pour une nouvelle épopée et des obligations de récoltes. Pour le moment, nous vivons ce paradoxe violent d’un peuple vivant qui doit vivre une histoire de morts. D’où cet air de morts-vivants qui se mangent la viande de l’Inde ou le bras du voisin. Encore plus, pendant le mois du Ramadhan.
9 juillet 2012
Kamel Daoud