Chronique
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- Publié le Dimanche, 12 Février 2012 10:44
- Écrit par Rachid Bali
Son incongruité en a fait le buzz de la semaine. Attendue avec quelque curiosité, l’intervention télévisée du chef de l’Etat a laissé pantois les citoyens. Trois faits saillants ont occupé les commentateurs : la dégradation physique du premier responsable algérien, la vacuité d’un discours ahané en un petit quart d’heure et un mutisme provocateur face aux défaillances en cascade du gouvernement après une tempête qui a déjà emporté des dizaines de morts et causé des milliards de dégâts matériels.
Ces remarques sont pertinentes. Sont-elles les plus importantes dans cette sortie ? Rien n’est moins sûr. En Algérie, les motivations politiques sont toujours nichées dans l’occulte. D’aucuns s’interrogent sur le pourquoi d’un « discours à la nation » si c’est pour afficher une telle déchéance et délivrer un message digne d’un chef de kasma des années de plomb. En d’autres circonstances, Boutefika se serait protégé et fait convoquer le corps électoral par un communiqué comme d’ailleurs cela s’est souvent fait par le passé.
Il fallait donc de solides raisons pour endurer cette pitoyable exposition. Il était impératif de se montrer et d’affirmer devant l’opinion internationale qu’en ce qui le concernait, il faisait tout pour empêcher ou du moins réduire la fraude qui s’annonce. Des sources concordantes signalent que Bouteflika explique à tous ses invités étrangers que, pour sa part, il admet volontiers que l’ancien régime a vécu mais qu’étant malade et ne maîtrisant pas la dimension opérationnelle du pouvoir, il ne peut que recourir à l’incantation. Instiller l’idée qu’il y a divergence au sommet sur le lancinant problème de la manipulation des élections peut séduire une partie de la communauté internationale qui rêve du jour où le régime algérien commencera à s’amender.
Cette duplicité peut agacer certains de ses membres mais, stratégiquement, elle ne gêne pas le DRS. Sur le fond, tout ce qui peut aider à farder un tant soi peu le vote du 10 mai concoure à la pérennité du système. De son côté, le DRS joue sur une autre gamme. Il table sur la tension sécuritaire régionale qu’il sous-traite pour le compte de l’occident afin de faire avaler son passage en force. On vient d’apprendre, en effet, que les services de renseignements ont littéralement mis sous cloche l’administration du ministère de l’intérieur dans la gestion du dossier des législatives. C’est ce service qui a élaboré les lois votées par le parlement, c’est lui qui a désigné les heureux bénéficiaires des nouveaux partis, c’est encore lui qui « traite » le fichier électoral et c’est toujours lui qui a fixé les lignes rouges à ne pas franchir dans les négociations avec l’UE. Sur le terrain, ses hommes sont à pied d’œuvre dans toutes les wilayate. Des équipes de 4 à 5 personnes listent depuis des mois les magistrats qui seront missionnés pour suivre la campagne et le scrutin et s’emploient, parallèlement, à mettre en ordre de bataille leurs réseaux via les CTRI. Electrons libres, ces groupes activent en toute autonomie et, dans certains cas, ils ne se sont même pas signalés auprès du wali quand ce dernier est jugé « peu coopératif », entendons par là peu zélé.
Cette répartition des rôles est-elle dénuée d’arrière-pensées ? Bouteflika joue de l’inquiétude et la fragilité de ceux qui l’ont fait roi à trois reprises : « c’est moi qui leur ai évité la CPI » s’est-il vanté plus d’une fois. Comme toujours quand il est impliqué dans une opération délicate, il veut avoir une longueur d’avance sur ses acolytes. Sachant que de telles manipulations ne peuvent rester longtemps confidentielles, le vieux briscard met rarement ses œufs dans le même panier: tout en appelant de ses vœux une fraude à laquelle il doit, lui aussi, sa survie et, accessoirement, celle de son clan, il tente de s’en démarquer car il sait bien que, cette fois, la démarche n’est pas sans risque. Par les temps qui courent, mieux vaut avouer une santé déclinante et escompter être exonéré, fut-ce partiellement, dans l’aggravation de la crise algérienne que d’affronter les tourments de l’Histoire. Et en la matière, Bouteflika connait son sujet. A un journaliste canadien qui lui demandait en 2001 s’il assumait toujours le fait d’avoir participé au coup d’Etat ayant renversé Ben Bella en juin 1965, il donna cette réponse : « je ne sais pas si nous avions bien fait à l’époque mais je sais qu’aujourd’hui il ne faut pas le refaire. »
Cette fois encore, l’essentiel était dans les non-dits du chef de l’Etat et de ses comparses. Reste une question, la seule au fond qui vaille d’être posée: où est l’Algérie dans tout ça ?
Rachid Bali
16 juillet 2012
Rachid Bali