Chronique
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- Publié le Dimanche, 20 Mai 2012 17:36
- Écrit par Rachid Bali
Dans ses grandes tendances, l’Histoire est un éternel recommencement. Il y eut de nombreuses fausses pistes, beaucoup d’espoirs déçus et autant de stratégies empruntées qui se sont ensuite révélées sans issue avant que l’Algérien admette que la solution à ses problèmes ne pouvait être recherchée dans le périmètre dans lequel le maintenait un système colonial par définition réfractaire à toute évolution.
Les gesticulations politiques en cours et les paresses intellectuelles qui les accompagnent ne sont sans rappeler les innombrables tests auxquels a été soumis le mouvement national avant l’ultime essor.
Une vingtaine de partis, dont la plupart ont une vie cyclique qui les expose tous les cinq ans, vont, en principe, se réunir ce lundi pour décider de la suite à donner à ce que tous dénoncent comme un viol de la conscience citoyenne ayant impliqué le chef de l’Etat lui-même. Tous vont s’agiter avant de se calmer. Et les quelques survivants qui ont pu sauver un ou deux sièges vont quand même envoyer leurs représentants dans une assemblée qu’ils décrivent eux-mêmes comme un ramassis de dépravés introduits dans l’enceinte parlementaire par les bourrages des urnes et les PV falsifiés.
De son côté, la direction du FFS, qui n’a pas pu tenir un seul meeting digne de ce nom avant le 10 mai, s’essaie à la méthode Couet et se déclare satisfaite de sa campagne ! Ce qui ne l’empêche pas aussi de râler contre les fraudes tout en prospectant déjà la façon de mieux gérer les prochaines échéances électorales. On ne sait trop si « le plus vieux parti de l’opposition » va tenir longtemps dans cette position de funambule qui s’exhibe devant une galerie dont il n’a pas encore compris qu’elle est désormais son tribunal.
Pour sa part, le RCD, qui fut le seul parti à exiger la présence des observateurs internationaux, ne peut pas ne pas tirer les conclusions qui s’imposent quant aux capacités et à la volonté des Européens à sortir de l’exception algérienne. Les dirigeants de ce parti ont affirmé avoir entendu de la part des représentants de l’Union européenne à Alger et à Bruxelles que les fautes commises lors de l’élection présidentielle de 2004 ne se reproduiraient pas. Cette fois, jurait le RCD, les conditions ayant précédé le vote en Tunisie, notamment l’apurement du fichier électoral,sont des préalables sans lesquels aucun observateur de l’Union européenne ne serait dépêché à Alger. Non seulement il n’y a pas eu d’apurement du fichier électoral mais la mission de l’UE n’a même pas pu accéder au fichier national tel qu’il est confectionné et exploité par le pouvoir algérien.
Non seulement les observateurs sont venus mais ils ont attesté du bon déroulement du scrutin avant même que le rapport de mission ne soit élaboré. On a certes entendu le RCD déplorer les maladresses d’un Salafranca amalgamant le calme ayant marqué le vote pour cautionner implicitement un scrutin décrié par la plupart des compétiteurs algériens avant même d’avoir entendu ses propres observateurs. Mais il y a pire. M. Pier Antonio Panzeri, chef de la délégation de prospection de l’UE et qui s’est porté garant de la mise en œuvre de l’intégralité des standards de l’UE pour la surveillance électorale en Algérie, vient de faire un pas de plus dans la compromission morale et politique en déclarant que « les élections étaient pacifiques et transparentes ». Nous ne sommes plus dans le satisfecit délivré pour le calme qui a prévalu le 10 mai ; L’UE préjuge de la transparence d’une opération électorale alors même que le conseil constitutionnel n’a pas encore étudié tous les recours. Il y a parjure. Le RCD est indirectement responsable de la caution extérieure qui est octroyée à une fraude électorale patente. Il se doit de réagir. On nous dit que la direction étudie les actions et les termes les plus appropriés à cet affront. Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps.
Finalement, et c’est un vrai paradoxe, c’est du côté des Etats que les réactions ont été les plus sobres sinon les plus critiques. Hormis le gouvernement espagnol, aucun autre n’a voulu commenter et encore moins assumer les résultats annoncés par le pouvoir algérien. La dernière en date est la modeste Bulgarie qui a gardé ses distances en se félicitant du déroulement pacifique qui a entouré les législatives du 10 mai.
Faute d’avoir le soutien de la communauté internationale, Alger surfe sur une donnée, la seule qui mérite d’être notée dans toute cette opération : l’augmentation significative du nombre de femmes siégeant à l’assemblée. Mais là encore les élites politiques et intellectuelles ont failli à leur devoir de vigilance et de vérité. Comment se fait-il que pas une association, pas un intellectuel, et Dieu sait qu’ils sont prompts et nombreux à se liguer quand il faut décortiquer un propos ou une initiative de l’opposition, n’ait pensé éclairer observateurs et partenaires de l’Algérie, pour dire que c‘est le système qui a fait de la femme algérienne une mineure à vie qui consent à une augmentation de la représentation féminine à l’assemblée nationale ! Nous serions donc ce pays singulier où la femme, en principe, va élaborer des lois, ou en tout cas peser sur leurs confections, et être dépendante de son tuteur mâle pour les droits les plus élémentaires de sa vie quotidienne.
L’idéal eut été d’avoir la parité dans les institutions et l’égalité des sexes devant la loi. Faute de pouvoir y prétendre pour le moment, mieux vaut un code de la famille égalitaire qui mène inévitablement à une visibilité politique effective de la femme dans la cité qu’un fardage féministe d’une assemblée par lequel on fera endosser aux parlementaires femmes les décisions les plus rétrogrades, ce qui, on le devine, induira un ressac terrible quand il faudra qualifier la capacité de la citoyenne algérienne à jouer son rôle une fois installée dans les institutions.
Comment est-ce que cette ruse usée jusqu’à la corde par le pouvoir algérien à chaque fois qu’il a du contrer ou disqualifier les revendications de l’opposition démocratique est-elle passée inaperçue dans une circonstance qui engage la moitié du peuple et,au-delà, l’idée même du contrat social algérien?
Combien de fois le régime, après avoir testé le bâton de la répression et la carotte de la corruption a-t-il recouru à la pollution des propositions de l’opposition.
Après avoir envoyé à Lambèse et Berrouaghia les militants des droits de l’homme, le FLN lança, non pas une, mais deux ligues des droits de l’homme pour parasiter un dossier sensible parmi tous. Après voir embastillé les enfants de chouhada, menés par le fils du colonel Amirouche, qui exigeaient l’arrêt du marchandage du sang des martyrs, le régime fit éclore moult organisations similaires qui furent autant de boutiques de distributions de prébendes. Après avoir accusé les auteurs de la régionalisation des pires anathèmes, le FLN de Belkhadem se fit le champion de la décentralisation, en fait une déconcentration de l’administration qui devait multiplier le nombre de fonctionnaires, au moment où étaient attendues des réformes avec des structures régionales élues disposant de vraies prérogatives.
Les exemples de clonage-pollution des initiatives ou projections alternatives extérieures au sérail et qui ne peuvent être ni combattues frontalement ni captées par les tentations obliques sont légions. Appliquée au registre de la délicate et capitale représentation féminine, cette stratégie a aveuglé tous les acteurs de la scène algérienne.
Le pouvoir ne gagne pas par ses réussites ou ses audaces, il se pérennise par ce que l’opposition, quelle que soit son obédience, se laisse déposséder de ses thématiques et enfermée dans un jeu biaisé. Le système a phagocyté l’islamisme et parasité le projet démocratique.
Le monopole jeté sur les normes qui définissent le licite et l’interdit dans l’action publique fausse et paralyse tout combat. Le DRS ou le FLN peuvent rencontrer et coopter qui ils veulent et quand ils le décident. L’opposition est limitée dans ses contacts et ses stratégies et se voit assigner par un contrat tacite ses missions et ses méthodes. Et l’opinion est captive de ce jeu faussé dans sa conception et sa formulation. On imagine la levée de bouclier (et pas uniquement de la part du pouvoir) si l’opposition non alimentaire, toute sensibilité confondue, décidait de se réunir à Alger pour envisager une démarche ouvrant de nouvelles perspectives au pays.
Tant que les tenants du changement se seront pas donnés ce droit à concevoir, décider et agir en fonction de ce qui est utile et efficace pour leurs objectifs, tant que le pouvoir, qui ne rend de compte à personne, décrétera seul de ce qui est admissible et illégitime pour ses adversaires, il est vain de vouloir donner corps à une perspective prétendant à un dépassement du système.
Pour l’heure seule la jeunesse semble avoir intégré l’inanité de ces scénarii récurrents qui usent et discréditent la classe politique. Le jeune exprime le refus de rentrer dans le labyrinthe politique du pouvoir par l’émeute, l’immolation ou la harga. Ces actes de fureur et de désespoir qui ne sauraient tenir lieu d’offensive cohérente et durable ont le mérite de la clarté et de lancer un défi qui coupe court à toutes illusions de compromis dans les cadres actuels. Il est trop tôt pour dire quand et comment cette énergie va se transformer en dynamique de contestation générale puis en alternative. En tout état de cause la jeunesse est le seul segment de notre peuple qui a compris que notre libération passe par la longue marche qui a permis à nos ainés de s’émanciper d’une tutelle que d’aucuns considéraient inébranlable.
16 juillet 2012
Rachid Bali