Chronique
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- Publié le Dimanche, 08 Avril 2012 08:56
- Écrit par Rachid Bali
L’Egypte fut longtemps l’icône qui inspira tous les régimes englués aujourd’hui dans des certitudes islamo-populistes surannées. Elle est présentement l’exemple d’une pitoyable décrépitude du cartel des pouvoirs militaro-policiers issus de l’islamo-baâthisme. Des pays comme le Maroc, la Tunisie ou le Sénégal, sans prétention hégémonique dans le tiers-monde, négocient de façon plus ou moins apaisée leurs mutations politiques et générationnelles. Pour leur part, les nations grisées par le panarabisme peinent à s’extraire d’illusions ayant longtemps survécu à l’ombre de la défunte union soviétique que les rodomontades russes ne sauraient durablement remplacer.
La pertinence et la légitimité des revendications de citoyens en phase avec leur temps heurtant la vulgate de dirigeants anachroniques promettent, pour quelques temps encore, des périodes hachées de drames avant la sortie de tunnel.
Après avoir déclaré que les conditions pour sa candidature n’étaient pas réunies, le redoutable vice- président et chef des renseignements de Hosni Moubarek, Omar Souleimane, vient de provoquer un ultime remous dans la présidentielle égyptienne en s’invitant à nouveau dans la compétition. Ce revirement est justifié par une niaiserie digne des larmoyantes mises en scène des mélos égyptiens des années 50. Quelques centaines de personnes regroupées dans un quartier du Caire suppliant « l’homme de la situation » de revenir pour sauver la patrie et le tour est joué. Le concerné, emporté par une emphase dont seuls les despotes arabes sont capables en certaines occasions, répond : « l’appel que vous avez lancé est un ordre et je suis un soldat qui n’a jamais désobéi à un ordre de sa vie. » Surtout quand il venait de Mobarak, lui rétorque sobrement un twiter. Les moukhabates égyptiens sont à l’Egypte ce que fut de tout temps la Sécurité militaire ( actuel DRS ) à l’Algérie. Depuis l’insondable Fathi Dib, le pays des pharaons est littéralement maillé par les services spéciaux qui contrôlent toutes les institutions et toutes les strates de la société. Moyens financiers illimités, personnels pléthoriques et structures métastatiques sont obsessionnellement dédiées à la surveillance de l’ennemi-citoyen ; au point de voir une guerre déclenchée pour anéantir Israël se terminer en six jours dans un désastre historique faute, justement, d’avoir su, pu ou voulu accorder un minimum d’attention aux enjeux extérieurs.
Créés et encadrés par le KGB sur fond d’arabo-islamisme, ces services mettront du temps à disparaître malgré les mouvements politiques et sociaux qui secouent les pays où ils sévissent et qui emportent dans leur foulée ici et là un tyran. La recette de leur longévité est relativement simple : étouffer méthodiquement toute virtualité démocratique et stimuler, en les noyautant, les courants fondamentalistes pour terroriser le citoyen et s’imposer comme un moindre mal devant les partenaires étrangers. Alger, le Caire, Damas et, hier, Tripoli sont des frères siamois. Un instant acculé à la discrétion, Omar Souleïmane a fait jouer ses réseaux pour ménager les frères musulmans qui s’étaient bien gardés de sortir dans la rue au début de la révolution. Ces derniers ont même été jusqu’à revendiquer une certaine complicité avec l’armée. Dans le même temps, les moukhabarates rallument tous les foyers de tensions susceptibles d’alimenter la peur du chaos : des églises coptes sont incendiées et des fidèles sont assassinés sans que l’Etat réagisse, les salafistes sont boostés pour faire augmenter la pression de sorte à ne plus laisser d’autres choix que le retour à l’ancien régime ; parallèlement, les contestataires de la société civile, sans leader ni organisation stable, sont réprimés ou soumis à diverses pressions, professionnelles, sociales ou judiciaires… La boucle est bouclée.
Alger n’est pas en reste. Avant chaque scrutin, le système FLN remâche inlassablement sa bouillie électorale : « c’est nous ou les islamistes » ; islamistes auxquels on a attribué depuis des années des ministères, des dizaines de sièges au parlement et des secteurs entiers de la vie nationale : éducation, justice, presse, culte…Le scrutin du 10 mai ne déroge pas à la règle. L’essentiel est qu’aucun parti d’obédience démocratique n’émerge. Et là-dessus le DRS veille. Oui au dopage d’un parti de trotskysme de bazar, oui à la prolifération des partis fondamentalistes mais les formations démocratiques ne doivent pas dépasser le cadre de la représentation symbolique. Il se trouvera toujours ensuite des « journalistes » pour expliquer, l’air faussement désolé, qu’à l’inverse des islamistes, les démocrates, n’allant pas sur le terrain, sont victimes de leur élitisme. L’Algérie a même innové dans cette équation à variable d’hémoglobine. Quand la population ne se laisse pas prendre au piège de la dualité toxique, il y a encore la latitude de provoquer ou de laisser se commettre quelques attentats par ci ou quelques enlèvements par là.
Dans cette régression post-coloniale, le message et la stratégie sont constants et demeurent partagés par tous les régimes se revendiquant de la nébuleuse islamo-baathiste. C’est très fier de sa litote que le premier ministre Ahmed Ouyahia vient de déclarer au quotidien français « le Monde » qu’à « chaque fois qu’un acteur étranger joue un rôle essentiel ( dans la région NDLR), c’est un dérapage », faisant allusion aux conséquences de la dissémination des armes libyennes. Le janissaire d’Alger, qui imputait les désordres et les victimes de la crise malienne à la disparition de Kadhafi, n’a pas pipé un mot sur les dizaines de morts qui endeuillent quotidiennement la Syrie depuis plus d’une année. Ces citoyens, dont des enfants, sont exécutés par les régimes qui se sont offerts les nations en héritage. Or, pour ces squatteurs de l’Histoire, leurs systèmes, par définition inamovibles, ont naturellement droit de vie et de morts sur leurs sujets.
Cette cécité a quelque chose d’animal. Pendant que Madame Assad commande ses parures à Paris et Londres, le sang inonde les villes syriennes. Néron. Le mur de Berlin, auquel étaient adossées ces dictatures est tombé. La jeunesse qu’ils pensaient avoir conditionnée échappe à leur emprise. Mais l’instinct soumettant la raison, ils refusent de voir, d’entendre ou de comprendre que dans le monde d’aujourd’hui, la soif de liberté habite tous les peuples. Souleïmane, Ouyahia, Toufik ou Assad sont des météorites du XXIéme siècle. L’incongruité de leur rôle aujourd’hui ne laisse aucun doute sur leur destin historique. Ils peuvent, en cas de chute malvenue, faire encore quelques dégâts.
Rachid Bali
16 juillet 2012
Rachid Bali