Chronique
- Détails
- Publié le Lundi, 14 Mai 2012 09:19
- Écrit par Rachid Bali
Nous l’écrivions dans cette rubrique la semaine passée : le 10 mai qui sera une opération électorale sans surprise ni crédit peut s’afficher comme une évaluation d’étape d’un intérêt certain dans notre histoire d’après-guerre. Nous y sommes. Le DRS qui maîtrise le code génétique du régime n’a pas pu faire mieux que de givrer laborieusement la scène algérienne.
Le FLN auquel s’ajoutent le RND, la kyrielle de micro partis et les honorables correspondants « indépendants » forment un bloc qui moulinera la jactance parlementaire pour amuser la galerie pendant que se concocteront les inextricables tractations qui permettront de passer le gué et, espère-t-on dans le sérail, envisager une succession qui devra réajuster les équilibres claniques, protéger la dynastie sortante et, surtout, maintenir un système essoré et hors d’époque.
Voilà pour ce qui est des objectifs du pouvoir, ce qui était en fait le plus attendu.
Il est tout aussi instructif de tenter une lecture de l’état de la scène politique hors système pour oser les anticipations les plus vraisemblables. Dans la foulée, l’analyse la plus fine possible des réactions des grandes puissances occidentales constituent un paramètre non intrusif mais essentiel de l’évolution de la donne algérienne.
Du côté du pouvoir, les approximations et contradictions qui ont émaillé cette opération électorale, dès le départ, soulignent la décrépitude constatée de longue date sur les registres économiques et diplomatiques où se révèlent chaque semaine des décisions contredisant les précédentes sans que s’esquissent une vision, une perspective si ce n’est celle de colmater les brèches des divisions et les béances de l’usure politique. La gestion de cette élection n’a pas échappé à la macération ambiante.
La prolifération de partis recrutant des petits malfrats, l’accaparement des symboles et martyrs des luttes nationales et les insultes et menaces du chef de l’Etat et de son premier ministre ciblant les opposants et annonçant l’invasion de ceux-là mêmes à qui est livré le pays donnaient une mise en bouche de la suite des manœuvres.
La presse internationale et l’opposition n’ont pas manqué de relever l’écart qui sépare les chiffres des commissions communales et ceux de l’administration centrale qui fait passer les taux de participation du simple au triple selon que l’on se trouve au nord ou au sud du pays. Ces distorsions seront savamment expliquées par le ministre de l’intérieur qui lie la ferveur patriotique au rayonnement solaire du désert.
La manière avec laquelle a été organisée la progression du taux de participation témoigne de l’incapacité du pouvoir à harmoniser les séquences de ses manipulations. On a fort justement noté que dans les wilayas rurales, le dernier des observateurs peut constater qu’à partir de midi il n’y a pratiquement plus d’électeurs dans les centres de vote, les paysans votant aux premières heures de la journée pour ensuite vaquer à leurs occupations. Or dans des wilayas comme Ain Defla, Chlef, M’sila ou Jijel le taux de participation est passé du simple au double entre 16 heures et 19 heures avec des bureaux de vote vides.
Ces incohérences sont rappelées ici pour donner à voir dans quel état de décomposition se trouvent les organes d’un système dont la science de la fraude fut l’alpha et l’oméga de la conception politique.
Les forces conservatrices sont hégémoniques. Deux petites fluctuations : les reculs du RND et celui des islamistes. Gagné par une instabilité larvée caractérisée par la sourde contestation de son secrétaire général et néanmoins premier ministre permanent, la réduction du groupe parlementaire du RND constitue, à première vue, une déconvenue pour les services spéciaux qui ont créé le parti d’Ahmed Ouyahia. Erreur. Le DRS sort renforcé de cette redistribution puisque les députés des nouveaux partis et les « indépendants » sont, sans exception, ses éléments. L’atomisation des clientèles est un appoint important de la manipulation en période d’instabilité. Il est plus facile de sermonner deux ou trois indicateurs que de faire cohabiter des dizaines d’individus mécaniquement gagnés par les tensions périphériques nationales ou régionales.
La marginalisation islamiste a surpris et, une fois de plus, réjoui les démocrates par correspondance qui attendent de voir la liberté frapper à leur porte. La vérité est que si le pouvoir a décidé de laminer ce courant, c’est qu’il préfère assumer lui-même le projet fondamentaliste, échaudé par les expériences tunisiennes, égyptiennes et marocaines où les islamistes ont capté le pouvoir par les urnes dans des scènes politiques qui font du projet démocratique le seul véritable adversaire. On ne le dira jamais assez, dans tous les régimes similaires au notre, il y a disqualification de la perspective démocratique qui fait de la loi la norme de la régulation dans la cité et compétition sur l’accaparement du projet islamiste. Dans un cas il faut éliminer un risque incompatible avec le sérail, dans l’autre il faut déposséder un adversaire de son butin.
Le pouvoir a renié les engagements pris avec le FFS car son noyau dur sait bien que la base de ce parti peut peser sur ses responsables en faveur de principes égalitaires si la situation le permettait. L’écrasement de Djaballah à qui a été promise la tutelle du mouvement islamiste participe de la même logique. Ce ne sont pas les idées de Djaballah qui posent problème mais son parcours qui fait de lui un homme capable de jouer pour son propre compte si l’occasion devait se présenter.
Le message est donc simple. Tant que le prix du baril permettra de garder le pouvoir, le destin du pays passera par perte et profit. Cette élection vient soutenir ce pari insensé.
Un régime peut-il indéfiniment confisquer un pays sans ancrage populaire, sans proposition ni projet en 2012 ?
Rien n’est moins sûr. La stratégie du blocage des expressions politiques et sociales dans les institutions n’est jamais pérennes quelle que soit la puissance du trésor public et celle des appareils.
La communauté internationale sait bien que l’exception algérienne a vécu. Preuve en est le yoyo politico-diplomatique d’un Salafranca balloté entre les standards sensés régir sa mission et les injonctions sous-terraines de Bruxelles qui recommandent ruse et composition avec le régime en attendant que « murisse » le dossier algérien. Même chose du côté de Washington et Paris, dont les observateurs officiels ont fait mine de ne voir que l’écume diplomatique. Les Américains et les Français qui se sont félicités de ce qu’il n’y ait pas eu trop de violence pendant le vote ont zappé de concert les résultats annoncés par Alger.L’occident devra s’accommoder de la seule véritable avancée de ce scrutin, l’augmentation de le présence des femmes à l’assemblée.
L’opposition connaîtra des bouleversements inévitables. La jeunesse y prendra le pouvoir avant de monter à l’assaut des institutions. Les anciens repères, à commencer par le FFS qui assume désormais sa mission de rentier périphérique, sont objectivement en phase de transformation fondamentale.
Les garnitures occasionnelles plus ou moins vitaminées, tels le FNA de Moussa Touati ou le PT de Louisa Hanoune, sont des débris d’une histoire politique qui accule tout le monde à se découvrir et se livrer. Le pouvoir en premier ne veut plus d’accessoires politiques qui ne se s’étalonnent pas et ne s’identifient pas à son passif.
Au mois de mai 1945, le général Duval avait averti le pouvoir colonial après un horrible carnage : « je vous ai donné la paix pour dix ans ».
Reste à savoir si Boutelika peut se donner 10 ans et si le peuple algérien qui a enterré tant des siens depuis une quinzaine d’années va attendre autant.
R.B
16 juillet 2012
Rachid Bali