La fête a aussi son climat de chaleur, nonobstant la tiédeur de tous les matins grisâtres régnant en région parisienne. En plus de l’indifférence, le citoyen est peu soucieux de son environnement politique. Le 14 juillet à Paris commence certes par un défilé mais finit par reprendre le cours du jour. Morosité et inquiétude. Ce sont les foules multiples de touristes de différentes nationalités étrangères qui auraient à mettre à profit une oisiveté journalière tombée à bon escient. Remplissant les orées de la grande avenue, ces jeunes et moins jeunes se sont vite mêlés au gout de l’actualité.
LES BORDS DES CHAMPS-ELYSEES
Il y avait aussi parmi la galerie libre, des citoyens de la France profonde. Des provinciaux, tous ébahis d’assister à l’ascension militaire. Les flashs d’appareil ne cessaient de cliqueter à chaque carré de corps d’armée. Nombreux sont ceux qui sont venus voir leur progéniture recrutée, faire son exhibition. Un couple heureux, débarquant d’un patelin oublié dans le nord-est ; dans la commune de Villiers sur Croix-Ferre est impatient de saluer leur unique enfant engagé au sein du COS (corps des opérations spéciales) « une nouvelle institution dans la pyramide de la défense française s’occupant principalement dans la combinaison des forces interarmées » tenait à m’expliquer l’un des conjoints, en signalant qu’ils sont là depuis 2 heures du matin. Mes tentatives de l’amener vers une amorce de débat politique, se sont spontanément et en toute amabilité avérées vaines. La tête, la leur était ailleurs que dans l’esprit de la date du 14 juillet. Sans nul intérêt à l’historicité du fait génésiaque, l’intérêt s’est confiné dans l’air du défoulement et de la curiosité. Une affaire de petite famille, pour ce couple. Les autres et le couple applaudissaient au passage des troupes, des chars et des spahis sans avoir à se plonger dans les annales de ces corps et de leurs effets de « civilisation ». Le défilé comme un papier millimétré s’effectuait selon une actualité politique internationale rendue impérative. La France Françoise Hollandaise tenait à la démonstration de son incontournabilité dans le tissage ou le dénouement des conflits internationaux. Les nouveaux territoires conquis suivant un nouvel ordre colonial, tel l’Afghanistan sont mis en évidence. La paix dans le monde ou l’intention de la faire disculpe toute ingérence.
SAMEDI 14 JUILLET, UN REPOS DE RATE
Moins que chez nous, la politique, ici n’est pas un agacement majeur. Elle n’est qu’un feuilleton d’un journal télévisé pour une information en continu. La rue lorsqu’elle n’est pas déserte, elle s’occupe par le vent et le vrombissement des voitures, à faire prolonger les pas et hâter la démarche. La fête s’est faite par un feu d’artifice au soir d’un 13 juillet pluvieux et grincheux. Seuls les branchés ou les assiégés dans leurs canapés, ces observateur à résidence, ont pu scanner l’exécution coutumière d’une représentation ordinaire d’une simple procession militaire valsant sur le pavé des champs Elysées. La liesse n’était pas partagée par un fonds social d’aide et d’assistance mutuelle. La France d’autrefois, charitable et employeuse est devenue un ensemble d unités qui se contraignent aux dépôts de bilans. C’est une société qui, dans une organisation de droit et de légalité ne s’apprête pas, nonobstant ceci à se faire évoluer dans un humanisme maintenant disparu. Inhumaine, impersonnelle elle compte ses chômeurs, énumère leurs angoisses et se thésaurise sur les quelques sous par lesquels elle arrose timidement les sans-emplois. Venant concomitamment au sein d’un week-end ; la journée fériée est vécue comme un repos raté pour ceux à qui l’aubaine du job est encore offerte et comme une ambiance festive pour les autres oisifs et désœuvrés.
LE NATIONALISME DES GRANDS BOULEVARDS
Sans connotation politique trop affichée ou excès de chauvinisme; le nationalisme français n’est pas un achalandage de rue. Seuls les grands boulevards expriment par un timide mais suffisant décor l’événement. Fanions tricolores sobres mais ostentatoires rassérènent pour le pouvoir, pense-t-on de marquer la commémoration. Aucun autre sigle, affiche ou banderoles. Juste le drapeau à des dimensions identiques. Une bonne précision s’impose. Il me semble que la notion de « pouvoir » n’existe pas. Elle est suppléée par la mairie. En effet la municipalité a plus de punch qu’une institution. Elle se confond à l’Etat. C’est le maire qui semble incarner le plus d’autorité. Le notre, il reste vissé dans les égouts et la collecte des inlassables insalubrités. Le préfet est totalement absent de la scène populaire et citadine. Son nom se fusionne uniquement dans la réglementation et les arrêtés. Dans ce 14 juillet, il s’est distingué pour l’un, celui du Val d’Oise dans la signature d’un texte réglementant la vente et l’utilisation des objets pyrotechniques tout en définissant l’horaire précis d’aliénation et d’exploitation, avec toutes les relatives et absolues interdictions. Je ne pense pas qu’un Wali de chez nous ait pris un tel texte pour légaliser et autoriser l’usage de gros pétards et d’artifice qui s’est fait à la veille du 5 juillet à travers toutes les wilayate. Pourtant l’interdiction en la matière est toujours de mise.
PALAIS DES CONGRES, PAS DE KASSAMEN, NI HYMNE NATIONAL
De ce 14 juillet, on en parle aussi dans le cercle national plus que l’on avait fait pour le 5 juillet. Les comparaisons deviennent des paramètres généralisés. Les griefs sont nombreux. Au palais des congres parisien, l’hymne national, « absenté », s’est fait remplacé par un cri de Rai. « kassamen » n’a pas été entonné. L’organisateur croyait en un spectacle de show-business, ou d’un mariage de l’un des rejetons d’un quelconque ponte du « système ». L’indépendance et sa célébration ne sont qu’un justificatif de paiement de cachet musical et artistique. Le 5 juillet dévié de sa vocation au sens purement algérien validait de ce fait la fiesta, ordinaire et banale. Une zerda private et aux frais de la république. L’emblème national n’aurait pas eu les honneurs quant à sa levée en ces occasions privilégiées. Les invités n’étaient autres qu’un certain genre de diaspora nationale à l’étranger dit-on. On n’aurait pas vu les gens des banlieues, ceux qui ne piochent pas aux alentours des édifices consulaires, mais que l’on drague en ces inouïes circonstances électorales.
UN AURESSIEN PARISIEN : «JE NE SUIS QU’UNE CARTE D’ELECTEUR»
« Notre 5 juillet à nous ne se trouve pas dans des salles closes avec tickets d’accès ou des cartons d’invitation » me répond sournoisement cet homme de 72 ans dont la résidence détient le même âge que l’indépendance. Auréssien d’origine, ancien salarié dans une déchetterie de l’ile de France, domicilié dans le 95, il ne connait d’envois de la représentation diplomatique de son pays que le document d’inscription ou de renouvellement sur les listes électorales. « Je ne suis qu’un matricule et une carte d’électeur » me tenait-il à préciser sur l’éventualité de réception d’une invitation aux festivités d’à propos. Face à ce dédain, l’on déduit que l’admonestation adressée en coulisses à l’autorité en charge du fait-anniversaire est de juste appréciation. Venant de certaines personnalités du panel intellectuel se considérant à cet effet comme personne-meubles car non convaincues du déroulement du cérémonial ; l’aveu amère vient en confirmation de l’idée répandue : « ils ne représentent qu’eux-mêmes, ces gens là» il s’agit évidemment des présentateurs. La sentence est d’un chercheur algérien officiant à Paris. Le maître sait quand bien même plaider ses convictions et sait trouver ses mots. Comme cet Auréssien, le savant est fou de la consommation dégagée et non expressive de l’événement. A son tour, il n’a pas hésité à qualifier sa présence par invitation à une espèce de faire-valoir quelque part une dépense publique en devises fortes, sonnantes et trébuchantes. Il recherchait sans trouver l’âme fondamentale du 5 juillet dans la circonstance qui lui est pourtant dédiée.
ORIGINE PATRIOTIQUE ET SOL NATAL
Un jeune ; algérien pour moi, français d’origine algérienne se dit-il, 23 ans interrogé sur le 14 juillet lors d’un trajet en commun dans un train périphérique; m’affirmait avec une certitude ferrée que « c’est la fête de l’indépendance ». Sur le 5 juillet « c’est la guerre d’Algérie » hésitait-il cette fois à me sourire en guise de réponse se voulant aimable. Là tous les commentaires sont plausibles et possibles. Cet enfant est le produit d’une école laïque française. Il est aussi le résultat social d’une éducation familiale pourtant jalouse de valeurs locales. Échec sur les deux lignes. L’école n’a pu ajuster son peu de savoir sur une histoire politique déjugée, et la famille à son tour s’est défaite de lui faire coller, ce qu’elle prend pour une constance : l’amour de la patrie. Mais de quelle patrie s’agit-il en fait ? Cet enfant, bien munie de deux nationalités semble baigner dans une absence d’amour patriotique. Abandonné comme une épave humaine flottante dans un océan ne sachant plus à quelle rive aller s’accoster. C’est un apatride de l’histoire des pays et des lois des hommes. A la prononciation au cours du dialogue, d’ « Oum dormane », de Ziani, de « Zidane » de « Benzema » spontanément le jeune s’enthousiasmait à me marquer sa forte réjouissance. Je devinais cet amour à déclarer autrement que dans un lien de sol natal, mais dans une attache d’origine à l’origine natale. J’ai compris ainsi le désarroi de la complexité des chiffres et des dates qui ne comptaient pas autant, dans sa tête que les prouesses scorées et les buts marqués. Son Algérie à lui est dans les filets. Elle se dodeline entre des bois, un terrain et des victoires. La France, d’où il est natif n’est pour lui qu’un espace de vie et de survie. Une patrie secondaire, comme une résidence à plein temps.
MARC LE CAFETIER :«QUI A CREE LE 14 JUILLET ?»
Il est tout beau le jeune cafetier. Un écusson placardé sur sa poitrine le désignait sous une dénomination de Marc. Européen par son teint, il offrait son infime sourire en compagnie de toute commande. Mettant à profit le vide d’un temps, je l’engageais progressivement et directement sur le cours de la politique liée à l’histoire des deux pays. Il n’apportait pas de divergence dans les dates. Ni le 5, ni le 14 juillet n’ont eu chez lui une consistance originale. Si le 5 est insignifiant, le 14 n’est qu’une fête. « Je ne travaille pas ». Pourtant Marc jouit d’un niveau universitaire substantiel. Il est encore étudiant dans une école supérieure de techniques informatiques. Il loue la moitié de sa vacuité scolaire pour se faire un pactole afin d’en prendre l’autre moitié en de vraies vacances estivales. La révolution française, comme cours d’histoire appris un jour est un peu vive mais vague dans son esprit. La prise de la bastille est un lointain épisode, il craint de me dire qu’il ne s’en rappelle même pas. « Ah oui ! C’est lorsqu’on a renversé la royauté, on a formaté tout le système » voilà un langage informatique qui exprime une opinion politique. La révolution a été donc un prompt clic qui écrase un royaume pour installer à jamais une république. Pour Marc le 14 juillet s’est toujours limité à une ambiance de jeunes dans tous les quartiers peu importe qui « l’a crée » ai-je entendu me dire. On s’amuse, on danse et c’est gratuit.
Le 5 juillet demeurera plus qu’un 14 juillet. La fête y est certes dans l’officiel, dans le solennel, mais elle persiste à durer dans le mutisme populaire lorsqu’il s’agit du pays. Le 14 juillet est une affaire d’élus politiques, d’artifices et de gala. Le 5 a aussi cette tendance à l’être. Sauf qu’il est une affaire d’Etat et non de masse. D’administration et non d’Assemblées populaires et associatives. Heureusement dirait l’autre. Habituant ainsi les mœurs populaires à se faire exproprier par la machine administrative, les fêtes nationales contrairement aux religieuses se sont toutes confinées dans des prérogatives publiques. A l’exemple de Ramadhan où l’Etat ne devient qu’un pourvoyeur et un régulateur de l’œsophage national. Bon Aid.
19 juillet 2012
El Yazid Dib